Entretien avec Alice Modolo

Une interview enrichissante où on en apprend beaucoup sur Alice Modolo et sa passion mais aussi pas mal de leçons de vie au passage. Sa philosophie inspirante nous fait voir les choses différemment, notamment sur la place des femmes dans le sport et les valeurs positives qui en découlent. Une femme-poisson qui cumule les records et les médailles avec des performances inégalées à ce jour. Nous parlerons de sa quête pour descendre sous la barre symbolique des 100 mètres et de ses combats au quotidien sur la confiance en soi et la respiration libératoire. Cette ancienne dentiste reconvertie en sirène est aussi ambassadrice de l’association Grégory Lemarchal en plus d’oeuvrer à faire évoluer son sport et les mentalités.  Une femme d’exception et de réflexions qui nous fait découvrir sa passion :

Alice, dans quelles circonstances as-tu découvert l’apnée ?
J’ai découvert l’apnée complètement par hasard. Je m’entrainais pour passer mon niveau 2 de plongée dans une piscine de Clermont-Ferrand, et j’étais subjuguée par ce qui se passait dans le bassin d’à côté. Dans la ligne d’eau d’à côté, il y avait des apnéistes et je me suis dit tout de suite qu’une fois que j’aurais mon brevet de plongée en poche, j’irais tester l’apnée parce que j’étais fascinée. C’était irréel, cette distance qu’ils parcouraient. Je trouvais ça hyper gracieux. Ils avaient des mono-palmes, et j’étais complètement subjuguée. Une fois mon niveau 2 en poche, j’y suis donc allée et c’était une véritable révélation. Un coup de foudre. J’étais spectatrice de mon propre corps et j’ai enfin pu comprendre pourquoi j’y arrivais et pourquoi j’étais forte pour ça.
Le corps humain est fascinant et on ne soupçonne pas toutes ses capacités. On en n’utilise pas les trois-quarts. C’était une manière de me découvrir et de découvrir le potentiel d’un être humain et c’est ce qui me tient en haleine depuis toutes ses années.

Alice Modolo, photo de Adam Sellars

Faut-il avoir certaines qualités pour pratiquer l’apnée ?
Il faut d’abord être en mesure de connaître ses capacités. C’est pour ça que cette discipline marche bien chez les personnes plus âgées car il faut déjà bien se connaître et avec l’âge, on se connait de mieux en mieux. Ce qui prime est de savoir quels sont nos points forts et nos faiblesses pour ensuite travailler sur ça.
Il faut aussi savoir s’écouter et suivre son instinct. L’apnée est une discipline très frugale je pense. Avec une consigne très simple, il faut juste descendre le plus profond possible sans respirer. La première des qualités est la force mentale car avant toute chose, on se prive de respirer. On se met face à une situation d’adversité et on se prive d’une fonction vitale donc c’est tout sauf du sport car c’est avant tout mental. C’est la porte d’entrée vers la performance. Et je ne me lasse pas d’aller découvrir ce qui se cache derrière ça, pourquoi je me prive de respirer et pourquoi je suis forte dans ce domaine.
L’apnée c’est de la chute libre, on se détache complètement et on est en mode « économie » pour préserver notre précieux oxygène. On se fait écrabouiller par la pression donc il faut de la souplesse et du relâchement. Il faut aussi de la fluidité, de la flexibilité et une grande force d’adaptation.
Nous les femmes, de part notre physiologie et le fait qu’on mette au monde des enfants et tout ça, on a déjà beaucoup plus de choses à gérer par rapport aux hommes donc on se connait bien mieux et on va droit au but. On n’a pas besoin de superflu pour se renforcer finalement. J’ai souvent l’impression que les hommes ont besoin de faire de l’activité physique pour se rassurer mentalement alors que nous, on se sent assez fortes et on n’en a pas besoin. Donc mental, relâchement, souplesse, flexibilité et adaptation, c’est tout ce dont on a besoin pour la première partie de la plongée. Et quand on peut travailler tout ça comme je l’ai fait, on peut descendre à 95 mètres.
Je fais aujourd’hui partie des dix meilleures plongeuses au monde et cela sans activité physique, parce que je ne trouve pas ça cohérent en fait. Pour aller d’un point A à un point B en consommant le moins d’oxygène possible, tu choisis quoi ? Une Ferrari hyper puissante qui va arriver plus vite mais en consommant plus ou un véhicule qui peut optimiser l’énergie ? Je me bats aujourd’hui pour faire évoluer les choses dans ce sens. Se construire un physique d’athlète dans cette discipline peut être vraiment contre-productif.

Avais-tu des craintes ou des appréhensions avant de commencer ?
Oui parce que l’inconnu fait peur, surtout quand tu dois te priver de respirer. Ça te renvoie à la peur de la mort et c’est tout à fait normal. Et heureusement qu’on a peur et moi, j’ai peur à chaque fois que je vais plonger. C’est d’ailleurs cette peur qui te protège et te rappelle que t’es en train de faire quelque chose de dangereux. C’est nécessaire d’avoir peur.

As-tu encore cette peur aujourd’hui avant de plonger ou avant une compétition ?
Bien sur, mais la seule chose que j’ai pu apprendre grâce à l’apnée, c’est de foncer sur mes peurs. Je n’y vais pas seule parce que c’est très dur d’y aller seule mais c’est quelque chose de tout à fait normal. On a tous des peurs mais elles sont toutes différentes parce qu’on a tous des parcours différents. Parfois j’ai peur de parler en public et pas savoir quoi faire alors je fais tout pour faire des conférences et me mettre en scène ! Je demande des conseils et j’essaie de m’entourer pour ne pas y aller seule. J’ai fais appel à un préparateur mental et ça a été une clé énorme. Au départ, c’était un préparateur physique et il s’est vite rendu compte que c’était le mental qu’il fallait travailler. Il a fait un doctorat en psychologie et il est devenu thérapeute. Une thérapie pour savoir où sont mes peurs et blocages. Et que tu déverrouilles tout ça, tu descends plus profond. Ça paraît logique. On est pas là que pour vendre du rêve à des médias, on est là pour comprendre ce qu’on fait et faire évoluer notre sport.

Alice Modolo, photo de Takuya Terajima

Quelle place occupe l’apnée dans ta vie aujourd’hui ?
Ça occupe beaucoup de place puisque j’ai arrêté mon activité de chirurgien dentiste. Aujourd’hui j’essaye d’en vivre avec la recherche de sponsors et tout ça occupe beaucoup de temps quand c’est pas ton métier. J’ai aussi cette vocation de pouvoir transmettre et partager ce que j’apprends en apnée car j’ai envie de faire évoluer mon sport. Et j’ai surtout envie que les femmes n’aient pas peur de venir essayer ce sport. Quand on voit un homme avec des capacités pulmonaires de 10 à 12 litres qui dit qu’il va décrocher la lune, ça peut faire peur et ça impressionne. D’ailleurs, on dit aussi qu’il y a plus d’hommes qui sont allés sur la Lune que d’hommes qui sont descendus à plus de 100 mètres ! C’est effrayant et ça ne rend pas la discipline accessible.

Qu’est ce que tu ressens quand tu plonges en apnée ?
Beaucoup de bien-être et de liberté. Une libération de toutes les émotions qui peuvent me bloquer sur terre. Ce stress et cette colère qu’on peut avoir, c’est comme si on faisait un reset de tout ça, ça me reboot et je repars à zéro. C’est ressourçant et apaisant.

Tu as déclaré : « Quand j’ai besoin de prendre une grande décision, je plonge! Quand je remonte j’ai ma réponse ». J’aimerais savoir à quoi tu penses quand tu plonges ?
En fait, l’essentiel émerge. Ça enlève toutes les turbulences superficielles et ça me ramène à qui je suis, d’où je viens et ce que je veux. Ça redonne du sens à ce que je fais dans la vie et ça permet de faire le tri de ce que je veux et ce que je ne veux pas. Et quand je remonte, tout est plus clair.

Comment te prépares-tu aux compétitions ou aux tentatives de record ?
Je suis encore en train d’expérimenter tout ça. J’ai un chemin complètement différent car je suis plus dans la préparation mentale que physique. Je me suis immergée dans l’eau glacée bien avant que ça devienne quelque chose de commercial. Je voulais être forte et faire face à toutes les situations d’adversité. Et j’ai découvert que j’étais forte dans cette exposition au froid et j’arrivais à m’y adapter. C’est une des grandes qualités à avoir : l’adaptation. Mon corps est aujourd’hui capable de changer les connotations émotionnelles des signaux d’alerte qu’il me renvoie. C’est normal d’avoir peur et d’avoir des sensations d’alerte car notre corps est là pour nous protéger. C’est normal si le diaphragme se contracte, la carotide s’affole un peu et les mains se crispent car le corps est en alerte. Le cœur bat un peu plus vite et on est en panique, tout ça est normal.

Qu’est ce qui t’as poussée vers la compétition ?
C’est d’abord mon entraineur qui m’a inscrite à mon insu pour ma première compétition. Il m’a dit : « Viens voir c’est sympa, viens nous regarder » puis il m’a dit que c’était à mon tour. Et je me suis rendue compte que j’avais un stress extrêmement positif en compétition. Et je donnais tout alors qu’à l’entrainement, je n’aime pas me donner à 100%.

Y a t-il encore des objectifs ou rêves que tu n’as pas encore accomplis ?
J’en ai trop ! On a tous des rêves, mais la société nous pousse dans une voie qui n’est pas la nôtre. On nous met dans une boite qui ne nous convient pas et on nous force à y rester. Ce que j’ai envie de transmettre aux gens c’est « sortez de cette boite et vous allez voir que les rêves sont là ». Et aujourd’hui, je vis H24 mes rêves.

Alice Modolo, photo de Michel Filinis

De quoi es-tu la plus fière aujourd’hui ?
De suivre mon propre chemin et pas celui qu’on m’impose. D’avoir cette force de dire NON. J’ai bien compris que dans cette société, il y avait des règles et des normes mais je veux pouvoir les utiliser pour moi et pas me faire utiliser. Le fait d’oser n’a pas de prix et il faut suivre sa voie, c’est tout ce qui compte pour moi. Je n’ai pas envie de vivre si je ne suis pas mon chemin.

Quel conseil donnerais-tu pour encourager quelqu’un à pratiquer l’apnée ?
De vivre l’expérience et de ne pas rester sur les idées reçues. Et surtout osez dire ce que vous ressentez et faites vous confiance. Parce qu’on est les mieux placés pour savoir ce qu’on ressent et c’est là qu’on doit puiser sa force. Osez l’expérience et osez vous découvrir. Et une fois qu’on l’a fait, on se rend compte que c’était pas si dur d’affronter sa peur. Ça donne envie ensuite d’aller affronter d’autres peurs dans la vie.

Dans le surf de grosses vagues, l’apnée est très important en cas de chute. Que t’inspire cette utilisation de l’apnée ?
J’ai beaucoup de surfeurs qui me demandent des conseils en effet. Mais pour moi, ce n’est pas utile que dans le surf de grosses vagues mais plutôt au quotidien car les gens ne savent pas respirer. J’ai moi-même dû apprendre à respirer et comprendre l’importance du souffle. Et c’est tous les jours que je l’utilise. Et pas besoin de surfer des grosses vagues ou descendre à 100 mètres pour bien utiliser son souffle. C’est au quotidien qu’il faut l’utiliser et faire de ce quotidien, une performance. Quand on sait respirer, on est capable de supporter beaucoup plus de choses. D’aller de l’avant et savoir gérer sa vie en fin de compte.

Tu te sers des qualités de l’apnée, même en dehors du sport donc.
Tout à fait. On dit souvent que lorsqu’un sportif a atteint son objectif, il y a une grosse phase de dépression ensuite. Comme un baby blues. Mais, cela ne m’arrivera pas parce que ce que j’apprends dans mon sport, je l’utilise dans ma vie. J’étais dentiste dans la vie et j’avais ce sport passion pour m’amuser et ça n’a jamais été une quête de devenir championne du monde. C’était juste un jeu et pas l’ambition d’atteindre des performances. Elles sont venues à moi toutes seules. La vraie performance, c’est d’être soi-même. Et en étant moi-même, en abordant l’apnée avec mes compétences et mes qualités, et en suivant mon chemin avec un boulot à côté, j’ai réussi à faire ses performances. Donc ça laisse à réfléchir quand même. Donc soyez vous-même et vous serez performant.

Et que représente la barre symbolique des 100 mètres pour toi ?
Je visais et je vise toujours ce chiffre parce que c’est un chiffre mythique et il fallait un rêve ambitieux pour me mettre en mouvement. Pour me mettre en énergie et créer une dynamique puissante. J’optimise mon temps pour être à 200% aujourd’hui mais ce chiffre des 100m n’est qu’un prétexte finalement. C’est un beau chiffre symbolique mais pour moi, c’est comme si je l’avais déjà atteint.

As-tu une source d’inspiration ou un modèle dans le sport ?
Oui, ce serait Sarah Ourahmoune (la boxeuse NDLR), car elle représente vraiment cette puissance sur tous les fronts et elle me donne envie de lui ressembler. C’est une athlète complète et elle symbolise bien la notion de donner du sens à ce qu’on fait avec cette envie de transmission et de faire évoluer les choses. Et ça me touche beaucoup. Ok c’est bien de faire des performances mais qu’est-ce qu’il y a derrière ?

Et le mot de la fin ?
Soyez vous-même !

 

ARTICLE SUR LE MÊME THÈME :

3 questions à Alice Modolo

 
ARTICLE RÉDIGÉ PAR UN HUMAIN
ARTICLE RÉDIGÉ PAR UN HUMAIN