Entretien avec Aude Lemordant

Egalement pilote de ligne sur les longs courriers, Aude Lemordant s’est lancée dans la compétition de voltige aérienne en 2005 et en a rapidement gravi tous les échelons. A 21 ans, elle devenait l’une des plus jeunes pilotes de ligne sur Airbus A320 puis elle signait chez Air France l’année suivante. Aude est également titulaire de la médaille d’or décernée par l’Aero Club de France.  Sextuple championne de France et triple championne du Monde entre 2011 et 2019, elle totalise aujourd’hui plus de 7500 heures de vol dont 600 en voltige aérienne et ce n’est qu’un début car la voltigeuse française ne compte pas en rester là.

Avant de parler de ton incroyable parcours, pourrais-tu nous présenter ta passion, la voltige aérienne, cet avion qui danse dans le ciel ?
Ce sont des avions avec un design vraiment particulier qui ne sont destinés qu’à faire des acrobaties et pas du tout du transport, un peu comme la Formule 1 de l’aviation avec un coté très sportif car ce sont des avions qui vont vite et qui sont très maniables. Avec aussi un côté très artistique car ce sont des avions qui se prêtent aussi à la démonstration avec de belles qualités de vol.

Ça vole à quelle vitesse ?
Ces avions volent à 400km/h. Lors des acrobaties, on passe donc fréquemment de 400 à 0 km/h.

Quand et comment as-tu découvert ce sport ? Et qu’est-ce qui t’as séduit dans cette discipline ?
Les avions, c’est quelque chose qui fait très souvent rêver les enfants et les gens n’ont pas toujours conscience que c’est quelque chose qui est accessible. On pense souvent que ça coûte cher et que c’est réservé à une élite alors qu’en France, on a quand même un système qui permet de rendre ce sport accessible grâce à des bourses ou des choses comme ça. J’ai commencé quand j’avais 14 ans par le planeur, et c’était pour moi la découverte du vol. On n’a pas de moteur mais on essaie de se maintenir en l’air avec des courants thermiques et dynamiques et on monte comme des oiseaux quand il y a des courants ascendants. J’ai commencé par ça puis après je me suis demandé ce que je pouvais faire comme métier et je me suis dis que ça pourrait être intéressant de se retrouver dans le cockpit d’un avion. Puis au cours de la formation, j’ai découvert cette facette là car ces avions maniables servent aussi à se sortir de situations délicates, donc on apprend avec ces petits avions de voltige. L’usage de ces avions en bi-place est d’abord d’apprendre des choses avec un instructeur et la voltige est une discipline à part entière pour faire de la compétition avec une recherche de précision et de maitrise de la machine. Et aussi la liberté qui permet d’évoluer en trois dimensions.

Être une femme était un atout dans cet univers ?
Les choses ont bien évoluées ces dernières années et les femmes sont extrêmement bien intégrées dans ce milieu. On a notre place et on est ni avantagées ni désavantagées, on est traitées de la même manière qu’un homme lors d’un test. Et ce qui est intéressant, c’est qu’on apprend des programmes à faire en l’air mais les juges qui sont au sol ne savent pas si c’est un homme ou une femme qui est dans l’avion. Seul le niveau compte. On est pilote avant tout et on est tous dans la même catégorie et on fait tous la même chose en l’air. C’est mixte mais après il y a des classements féminins et masculins.

La créativité est-elle importante dans cette discipline ? 
Les disciplines classiques en voltige sont très codifiées. On a un code avec des combinaisons de figures imposées (comme les loopings par exemple) et tout est répertorié et codifié et surtout très précis. Et ensuite, on a une autre catégorie qui est le Freestyle où rien n’est imposé et c’est un mix d’artistique et de technique. Une discipline de compétition à part qui s’apparente à ce que l’on peut retrouver dans un meeting aérien. La différence c’est qu’on a des fumigènes en plus et c’est plus artistique. Un peu comme comme le patinage artistique.

Et il faut faire quoi pour gagner la compétition ?
Comme dans tous les sports, il y a l’aspect technique et le mental. Il faut déjà une bonne condition physique puis de l’entrainement et c’est important parce qu’il faut qu’on soit habitué physiquement aux facteurs de charge, accélérations positives et négatives avec des techniques de respiration qui deviennent des automatismes pour contrer et résister à ces facteurs de charges. Parce que contrairement aux pilotes de chasse, on n’a pas de combinaison anti-G. La différence est que nous, on prend les facteurs de charge de façon quasi-instantanée donc la combinaison n’aurait pas eu le temps de se gonfler et surtout on alterne les charges positives et négatives (le sang qui descend vers les pieds ou vers la tête). Les pilotes de chasse n’ont que du positif et surtout ils ont des G qu’ils maintiennent longtemps d’où l’efficacité de la combinaison anti-G pour eux.

© Photo Marie-Dominique Schenk

C’est dangereux comme sport ? Il y a beaucoup d’accidents ?
Oui, il y a eu des accidents, mais en compétition c’est extrêmement rare. On ne peut le pas considérer comme un sport à risques parce qu’ils sont vraiment infimes. On prend plus de risques en venant à l’entrainement avec sa voiture qu’en vol. Et puis on a un parachute qui est obligatoire donc on peut toujours sauter en cas de problème.

Concernant ton parcours et tes résultats, comment expliques-tu cette incroyable performance ?
Le mental se travaille mais je pense qu’il faut déjà être sportif quand même.  Et la compétition nous pousse à nous dépasser donc il faut déjà avoir certains traits de caractère.  Ça reste un gros investissement avec des sacrifices donc il faut de bonnes motivations. Le sport de haut niveau, ça reste des choix de vie avant tout car c’est très contraignant et prenant donc il faut des prédispositions à la base. Et j’ai commencé à voler tôt et quand on commence jeune, on développe des aptitudes. Le planeur aide à apprendre le pilotage et c’est toujours plus facile quand on apprend jeune. En plus j’ai eu la chance de commencer en France et chez nous, on est très aidés avec un système de bourse pour les jeunes.

Combien d’heures par semaine consacres-tu à la voltige ?
On ne compte pas vraiment en heures par semaine parce qu’on ne peut pas monter dans un avion tous les jours. Ça demande une logistique assez particulière donc on fonctionne par stage. On a cinq stages avec l’équipe de France en plus des compétitions et après pour faire une bonne saison, il faudrait faire au minimum 10 semaines de stage.

Comment arrives-tu à concilier ta vie de pilote de ligne et celle de compétitrice en voltige
J’ai la chance de pouvoir concilier mon métier avec ma passion avec un employeur (Air France) qui comprend mon mode de vie donc mes plannings s’adaptent sur ma saison de compétitions. Ça reste très prenant, surtout quand tu as une gamine à la maison.

Quel est ton meilleur souvenir en voltige ?
Ce qui marque le plus, c’est quand on commence parce qu’on découvre les choses et il y a des vols qui sont très agréables avec les premières sensations où on voit la terre la tête en bas et sous toutes ses coutures. Aujourd’hui c’est plus compliqué car on a des horaires restreints mais voler avec des belles lumières c’est plus agréable. On a des avions qui vont très très vite aujourd’hui donc on n’a plus le temps de voir ce qui se passe dehors et d’admirer le paysage.

Arrives-tu encore à repousser tes limites après toutes ces années ?
Comme dans tous sports à haut niveau, plus on progresse et plus la marge de progression est faible. Et c’est de plus en plus difficile de quantifier les progrès. Quand on est à haut niveau, on peut plus facilement régresser que progresser mais ce qui est intéressant, c’est qu’on continue toujours s’apprendre même après de longues années.

Et quand t’es là-haut, il t’arrives d’avoir peur ?
Non, jamais. La voltige, c’est un peu une recherche de maitrise de l’avion et du pilotage et on est acteur donc on a moins peur. Comme quand on est passager d’une moto, on a plus peur que quand on conduit parce qu’on ne sait pas ce qui se passe. Il y a encore beaucoup de gens qui ont peur en avion simplement parce qu’ils ne savent pas ce qui se passe. S’il y a une turbulence ou un trou d’air, on ne maitrise rien alors que quand on est aux commandes, on sait ce qu’on fait et ça nous permet d’anticiper. On sait ce qui va se passer donc on n’est pas sujet à cette peur là.

Aimerais-tu faire partie de la Patrouille de France ?
Alors c’est complètement un autre métier, la Patrouille de France fait quelques figures de voltige mais c’est un autre domaine que j’ai pu découvrir lors de meetings aériens et c’est quelque chose d’absolument passionnant. C’est un vol à plusieurs donc forcément moins individualiste et c’est un vrai métier, complètement différent du mien.

Des conseils à donner à celles et ceux qui veulent se lancer dans la voltige aérienne ?
La voltige et l’avion au sens large, c’est beaucoup de choses. On a la voltige mais aussi le pilotage de précision, le voyage et tout un tas de domaines. C’est assez vaste et chacun peut trouver ce qui lui convient dans l’aviation quel que soit le profil. C’est quelque chose de très accessible si on ose pousser les portes d’un aéro-club.

Quels sont tes projets maintenant ?
Et bien là, je suis en train de faire construire l’avion le plus performant au monde. Le seul en Europe dans cette configuration de voltige. Et l’idée est de découvrir encore d’autres dimensions avec un avion plus performant et de continuer la compétition. Car ça permet de toujours repousser ses limites et se forcer à une certaine rigueur et de la discipline en fin de compte. Ensuite le but est de pouvoir montrer tout ça lors de manifestations publics ou privées et continuer à faire rêver les gens, créer du partage et de l’émotion pour cette passion.

À part les avions, as-tu d’autres passions ?
J’ai toujours aimé le sport en règle général. Je suis une sportive dans l’âme et c’est une partie intégrante de ma vie. J’aime beaucoup découvrir des choses dans tous les domaines et cultures et j’ai la chance d’avour un métier qui me fait voyager donc ça me permet aussi de rencontrer des gens et partir à leur rencontre.

Des personnes à remercier ?
Il y en a tellement que je ne pourrais pas tous les citer parce qu’un parcours comme ça, ça se construit avec des milliers de gens, ça peut être des entraineurs ou autre mais parfois ce sont juste des gens qu’on a croisé dans notre vie et qui nous ont dit une petite phrase au moment où on en avait besoin, des gens qui nous ont donné confiance.  Ce sont tous les gens qu’on rencontre au cours de notre vie qui font ce parcours là. Je peux remercier mes sponsors, Aéroport de Paris (groupe ADP), Dassault aviation, Total, Jetfly, Air France, Garmin France, Beringer et MT-Propeller.

Quest-ce qu’on peut te souhaiter maintenant ?
Avant tout, une bonne prise en main et beaucoup de plaisir avec ce nouvel avion.

Photo : Vincent Capman