Entretien avec Hassan Mouti

Sauter à 27 mètres de hauteur, sans peur et sans reproches, telle a été la routine d’Hassan Mouti une dizaine d’années.

Le Cliff Diving, une des disciplines les plus extrêmes qui soient, l’une des plus esthétiques aussi visuellement parlant, a fait partie de la vie du Français, et en fait toujours partie. Hassan Mouti, ancien plongeur de haut vol, a créé sa société Vertical Limit Event et propose par ce biais l’organisation d’events cliff diving en plein centre-ville. Le 11 mars dernier, Hassan Mouti devait d’ailleurs organiser un contest à Mexico City, devant 150 000 personnes… L’occasion pour la rédac’ du Mag’ d’Adrenaline Hunter de s’entretenir avec le Frenchie sur sa vision du cliff diving, son expérience et ses projets. Interview !

– Hassan, pour débuter cette interview, peux-tu nous rappeler ton parcours au sein de l’univers Cliff Diving ?J’ai commencé le cliff diving en 2003 et j’ai arrêté en 2013, suite à un accident. Cette année-là, j’ai pris part à une compétition en début de saison, puis je me suis cassé le talon. J’ai eu une opération et j’ai décidé d’arrêter ma carrière, la rééducation a pris quasiment trois ans. Il m’a en effet fallu prés de trois ans pour remarcher normalement, refaire du sport… Il y a encore quelques séquelles, mais c’est beaucoup mieux. J’ai eu la chance que Red Bull me demande de travailler avec eux, à partir de 2013, sur le projet du Red Bull Cliff Diving World Series. J’ai donc été Athletes Manager. En parallèle, j’ai ouvert ma société, Vertical Limit Event, dans le but de démocratiser ce sport qui commence désormais à être connu.

– Que ressent t-on quand on saute de 27 mètres de haut, et en plein vol ?
Les sensations sont assez extrêmes, d’où le nom de « sport extrême ». Le Cliff Diving est un des sports extrêmes les plus dangereux, donc on a vraiment des sensations énormes. La première chose, c’est que l’on reste toujours concentré lorsque l’on monte sur la plateforme, on est à 27m de haut, on a bien conscience de tous les dangers… Les plongeurs travaillent tout l’hiver leurs figures, donc il y a beaucoup de concentration sur la plateforme.  En l’air, c’est la même chose, concentration et technique. Quand on rentre dans l’eau, bien droit et que tout se passe bien, c’est le plaisir absolu ! Quelque part, on met sa vie en danger sur chaque plongeon… Quand on rentre bien droit dans l’eau, on est donc content, sans penser forcément aux notes des juges. C’est d’abord l’extase, en mode « j’ai fait mon plongeon, je suis encore vivant » !

-Combien de temps met-on à maîtriser une nouvelle figure ?
Beaucoup de temps… Cela prend une bonne année pour maîtriser correctement une figure, et pour la maîtriser à la perfection cela prend des années, genre 15 ans ! Personnellement il n’y avait qu’une figure que je maîtrisais à 100%, les autres étaient de beaux plongeons, mais nous cherchons toujours la perfection. C’est un sport ingrat où il faut beaucoup travailler, tout ça pour une figure qui dure trois secondes… C’est hallucinant !

-Que représente à tes yeux le Red Bull Cliff Diving ? Existe t-il d’autres compétitions pour les plongeurs de haut vol ?
Les Red Bull Cliff Diving World Series sont la base du plongeon de haut vol, appelé aussi plongeon de l’extrême. C’est une très vieille discipline, qui a longtemps été mal connue mais on essaie de changer les choses. Les Red Bull Cliff Diving World Series sont la première structure qui a été faite pour ce sport. On a mis en place un règlement, des coefficients de difficulté, une réglementation sur la sécurité, on a des plongeurs sous-marins, des ambulances etc., pour structurer le sport. Et cela bien avant 2009, bien avant le début des Red Bull World Series. Avant, il y avait déjà des compétitions organisées par Red Bull, mais c’était une fois par an, deux fois par an… ce n’était pas quelque chose de récurrent. En 2009, ils ont décidé de créer un championnat du monde et nous avons depuis entre six et huit étapes par an. C’est vraiment structuré, grâce au travail fourni par Red Bull et par les compétiteurs, qui ont été inclus dans le process. La finale de 2013 a attiré beaucoup de spectateurs, à la Rochelle nous avons toujours 70 000 personnes, en Italie 50 000… C’est assez extraordinaire, et du coup la FINA (Fédération Internationale de Natation) a été intéressée et a créé depuis 2013 un championnat du monde, une coupe du monde… Il y a aujourd’hui le rêve absolu d’arriver aux Jeux Olympiques, cela ne va pas marcher pour Tokyo 2020 mais on va se battre pour avoir ce sport en 2024 !

C’est important d’avoir une étape en France, comme celle de la Rochelle ?
Oui c’est important à mes yeux qu’il y ait une étape en France, déjà parce que je suis Français ! A l’époque où j’étais plongeur, c’était toujours un plaisir de plonger devant un public français, et de bénéficier d’un soutien unique… Maintenant que je suis passé dans l’organisation, j’aimerais créer des events en France. La Rochelle, c’était la première étape du nouveau championnat du monde, en 2009. C’était quelque chose d’important et ça l’est resté, l’étape à la Rochelle est devenue un classique, comme Roland-Garros ou Wimbledon le sont pour le tennis… Cela fait deux ans que le Cliff Diving n’est pas passé à la Rochelle, on essaie de programmer un event de nouveau en France pour 2019.

-Si le plongeon de haut vol rentrait aux JO, qu’est ce que ça changerait pour ce sport ? Ce serait un vrai accélérateur de notoriété ?
Je ne suis pas sûr que ça soit un accélérateur de notoriété, on a déjà acquis cette notoriété et prouvé à toutes les instances sportives que le Red Bull Cliff Diving est un vrai championnat, avec des athlètes qui s’entraînent toute l’année et sont à 100% dans leur sport. Par contre, si le plongeon extrême rentre aux Jeux de 2024, ce serait une belle reconnaissance de la part de toutes les administrations sportives, de toutes les Fédérations internationales, du CIO… pour un sport que nous avons développé de A à Z.

-Quel est le facteur-clé pour permettre l’entrée au programme olympique ?
Il y a beaucoup plus de facteurs qu’on ne l’imagine… On manque encore d’infrastructures, il y a des Fédérations qui sont intéressées par le sport, qui aimeraient créer des centres d’entraînement, mais il n’y a pas assez d’infrastructures. Le jour où l’on rentrera dans le monde olympique, le développement sera plus rapide. A l’heure actuelle, on doit passer par des sociétés privées ou développer par nous-même ce sport… c’est encore un peu du système D !
Si l’on rentre dans le mouvement olympique, on aura par contre l’appui des Fédérations, qui chercheront à développer ce sport et à « avoir » de nouveau sportifs…

-Tu as eu l’idée de créer des compétitions de plongeon de haut vol en centre-ville. Comment t’es venue cette idée ?
Tout vient quelque part de la Rochelle. C’est l’un des seuls évènements où l’on est assez bien placés dans une ville, en l’occurrence le port, qui représente le centre-ville de La Rochelle. J’ai vu qu’il y avait 60 000 personnes, et je me suis dit : « ça attire tellement de monde ! », alors que la plupart de nos compétitions sont du plongeon de falaises, dans des endroits difficiles d’accès. J’ai donc eu l’idée de ramener ce sport en centre-ville. Au lieu que les gens se déplacent pour aller assister à la compétition, c’est nous qui nous déplaçons et ramenons tous les plongeurs en plein centre… L’idée est de faire davantage connaître ce sport auprès du grand public. Voir quelqu’un qui se jette de 27m de haut, en maillot de bain et en plein centre-ville, dans un décor pas banal, elle est là l’idée…

-Concrètement, comment cela se passe t-il ? On a cru comprendre que les athlètes plongent dans un bassin spécialement conçu pour l’event…
Exactement ! Le bassin a différentes dimensions, le minimum est de 5 mètres de profondeur et 12 mètres de largeur. On s’adapte à la topographie du lieu où l’on va se situer, tout simplement…

-La première compétition du genre devait se dérouler le 11 mars à Mexico, elle a finalement été repoussée en raison de fuites dans le bassin… Peux-tu nous en dire plus ? Va t-elle bien avoir lieu ?
Je viens de rentrer en fait, après quatre semaines passées là-bas… C’est un projet sur lequel on travaille depuis longtemps avec Vertical Limit Event et un partenaire mexicain. Malheureusement, nous avons eu un problème technique. Nous devions surdimensionner une piscine, située au pied d’un bâtiment. Le bassin devait faire quasiment 10 mètres de hauteur. Le liner de la piscine avait en fait un problème, il y avait quelques fuites. Nous avons essayé de réparer cela à plusieurs reprises, nous y avons même passé toute une nuit… Hélas, dimanche 11 mars au matin, quand on a rempli le bassin, il s’est avéré qu’il y avait encore des fuites. Nous avons décidé, la société partenaire et moi-même, de ne prendre aucun risque sur cet événement, que ce soit pour les plongeurs ou le public, car nous attendions quand même 150 000 personnes à Mexico City, sur une avenue que l’on pourrait comparer aux Champs Elysées. Nous avons préféré annuler l’event et nous espérons le reprogrammer dans le courant de l’année 2018. Nous n’avons pas encore de date précise, le but est d’abord de comprendre l’origine du mauvais fonctionnement du liner…

-Le plateau réuni pour cette compète mexicaine fait rêver tous les connaisseurs du Cliff Diving, puisqu’on retrouvait les stars de la discipline, avec entre autres Jonathan Paredes, Gary Hunt et le légendaire Orlando Duque… Ont-ils été faciles à convaincre ?
Oui, c’est peut-être difficile à croire mais c’est sans doute le petit plus que j’ai par rapport à un autre organisateur. Je suis moi-même un ancien plongeur, j’ai fait des compétitions avec eux, nous avons été adversaires et sommes amis… C’est donc beaucoup plus facile, généralement je leur passe un petit coup de téléphone et leur explique le projet qu’ils connaissent déjà. Ils savaient que j’avais cette idée dans la tête, et ils ont tous accepté avec plaisir. Tous les athlètes sont venus durant 5 jours à Mexico City, cet event à Mexico City aurait constitué la première compétition de l’année…. Les plongeurs étaient donc tous déçus de ne pas faire l’évènement, comme nous. Franchement, c’était un plateau de rêve et cela a été assez simple de les avoir à mes côtés.

-Tu avais fait un premier test en 2014 dans la station de Tignes, avec 5 athlètes qui s’étaient élancés d’une cabine téléphérique… Quels souvenirs en gardes-tu ?
Du stress, beaucoup de stress et beaucoup de satisfaction ! Avant 2014, je travaillais déjà depuis 4-5 ans avec la station de Tignes, nous y faisions un événement chaque été où l’on plongeait d’un hélicoptère, ou à 20m de haut au bord du lac… La station cherchait à se renouveler et je leur ai donc proposé cette idée, à la base le saut devait se faire d’un immeuble mais c’était techniquement trop compliqué. J’ai alors pensé à arrêter un téléphérique au-dessus d’une piscine construite pour l’occasion ! Elle faisait 4m20 de profondeur et 12m de diamètre, ce qui était déjà assez grand… Il y avait du monde, le public a adoré, les médias ont adoré, les plongeurs aussi. Cela n’arrive pas souvent d’ouvrir la porte d’un téléphérique de ski et de sauter (rires).

-Quelles qualités faut-il avoir pour performer dans le plongeon de haut vol, comme Orlando Duque ?
Je pense que mentalement, il faut être très fort car on risque sa vie sur chaque plongeon. Il y a donc un gros travail mental… Il ne faut pas lésiner non plus sur le physique, car on arrive à 80-90 km dans l’eau. Il faut donc avoir de grosses qualités physiques, et être à 100% dans ses entraînements et dans le sport. Si on ne s’engage qu’à moitié, il y a un moment où on le paie cher et où l’accident arrive… Si l’on n’est pas concentrés, cela peut être également difficile. Du coup, il faut donc avoir une grande qualité mentale associée à une qualité physique exceptionnelle, c’est le corps et l’esprit…

-En parlant d’Orlando, nous avons vu qu’il a sauté d’un iceberg dans l’Antarctique. Que penses-tu de cette perf’ ?
C’est une perf’ qui est hallucinante ! En rentrant de l’Antarctique, il est venu à Mexico et a donc eu du -20° à +30° (rires). Ce qu’il a fait, c’est le seul à pouvoir faire ça, c’est pour ça qu’il est la légende du sport… Il a été neuf fois champion du monde, et avait ce projet dans la tête depuis 15 ans. Sauter d’un iceberg, personne ne l’avait jamais fait et il voulait vraiment réaliser un tel plongeon, et être le premier à le faire. C’est un projet techniquement très compliqué, il a persisté durant 15 ans et il l’a fait ! J’ai vu les images qu’il a posté sur Facebook et Internet, également d’autres images off et ce qu’il a réalisé est magnifique. Je lui tire mon chapeau et, quelque part, je l’envie un peu car j’aurais bien aimé aller plonger avec lui en Antarctique ! Orlando est le seul au monde à avoir fait ça, et il sera probablement le seul à l’avoir jamais fait…

-Les plus beaux endroits sur Terre où tu as sauté ?
On est allés à Hawaii, sur l’île de Kauai, et c’est un des plus beaux spots où j’ai jumpé. Avec le Mexique, nous étions au milieu de la jungle avec des lacs dont l’eau était claire et transparente… Il y a bien sûr évidemment La Rochelle, pour son public et la qualité de vie là-bas. Ce sont les trois spots que je préfère.

-Que peut-on te souhaiter pour la suite ?
On peut me souhaiter d’avoir un événement d’urban high diving en France, je rêve d’en organiser un à Strasbourg, dans ma ville natale. Et même à Paris, à coté de la Tour Eiffel… Ce serait bien que l’on puisse en mettre en place en France, au lieu de s’expatrier à l’autre bout du monde.

-Le mot de la fin ?
J’espère que les passionnés seront de plus en plus nombreux à suivre ce sport, qui malheureusement commence à mourir tout doucement en France. Si vous aimez cette discipline, n’hésitez pas à aller dans des piscines, dans des clubs pour apprendre toutes les bases et après vous pourrez essayer en falaise, toujours en prévoyant un maximum de sécurité…

Photos : Red Bull Content Pool