Entretien avec Chris Ballois

Véritable waterman, Chris Ballois est atteint d’agénésie : le rider est privé, depuis sa naissance, d’avant-bras gauche. Un handicap qui ne l’a pas empêché de pratiquer le windsurf puis le kitesurf à très haut niveau. Vrai touche-à-tout, le Rennais s’est pris de passion pour le kitesurf de vitesse. Depuis sa participation au Mondial du Vent 2014, Chris Ballois est devenu un roi du speed, cette discipline extrême du kite aux sensations démentes. Il y évolue avec brio parmi les valides, et affole les chronos.
Recordman du monde de vitesse à la voile handisport depuis le 23 octobre 2014, Chris Ballois espère bien ne pas en rester là, et fourmille de projets.  Zoom sur un champion humble qui force le respect !

Chris, peux-tu revenir un peu sur ton parcours ? Tu as longtemps pratiqué le windsurf parmi les valides, quand as-tu débuté le kitesurf ?
Entre 1996 et 1999, j’étais dans le Top 10 Français en windsurf dans les vagues, parmi les valides. J’ai ensuite travaillé au développement du kitesurf à partir de 1999, pour la marque Naish qui importait les premières ailes. J’étais responsable commercial et technique sur toute la partie développement du kite sur la France. A l’époque, il n’y avait pas de magasin, pas de revendeur, pas d’école, le marché était complètement vierge. Il a fallu apprendre et communiquer sur ce qu’était le kite et comment cela pouvait devenir un grand sport avec beaucoup de pratiquants. En 2008, j’ai changé d’équipe pour travailler pour le groupe NeilPryde, pour la division kite de Cabrinha. En 2014, j’ai monté ma propre entreprise, Handiconsulting et je me suis remis à partir de là dans le sport de haut niveau, cette fois-ci en kitesurf. J’ai le record du monde de vitesse à la voile handisport depuis fin 2014, à 42,94 nœuds (80km/h) de moyenne sur 500m.
J’ai été 5e du championnat de France kitefoil en 2015, en 2016 je bats le record St Malo-Jersey avec Christophe Reischle. Le précédent record était détenu par le Multi 50 de Gilles Lamiré en 3h42 mn, nous avons mis 2h05 à l’aller et 4h19 sur l’aller – retour. Le bateau d’assistance s’est d’ailleurs cassé au retour, nous avons effectué les derniers 50km à vue… Je finis l’année 2016 à la 7e place mondiale en kitesurf de vitesse, parmi les valides. En 2017, j’ai réalisé un Défi Inter-îles, et rallié Brest à Lorient en kite entre le 3 et le 10 juin, via les îles du Ponant. L’objectif était de boucler le défi quelque soient les conditions météo. J’ai eu des conditions extrêmes dans les deux sens : soit pas de vent, soit beaucoup de vent avec 45 nœuds et 7m de houle vent de face. Je suis arrivé le 10 juin comme prévu, sur un parcours en kite de 470 km.

Qu’est ce qui te plaît le plus dans le kitesurf ?
Au départ, j’aime la vague donc sortir dans les pires conditions ! Maintenant, ce qui me plaît le plus c’est la vitesse car on se bat contre soi-même, contre un chrono, avant de se battre contre les autres. J’aime également la partie défi, rallier un point à un autre. Ca a été le cas pour St Malo-Jersey et pour Brest-Lorient. Ce Défi Inter-îles était l’occasion de mettre en avant l’Assedea, l’association qui gère l’agénésie, c’est à dire les personnes ayant une absence ou une réduction de membre, et la SNSM. C’était un travail d’équipe avec Stéphane Ballois, mon frère qui a fait toutes les photos du Défi, Arnaud Troalen, le directeur de course et kitesurfeur de haut niveau en freestyle et foil, qui s’occupait du routage et de la partie technique, et Carole Dubois pour les relations presse.

Comment as-tu réussi à concilier ton handicap et la pratique du kitesurf ? Tu évolues sans prothèses et tu ne pilotes donc que d’une seule main…
J’ai commencé par le windsurf et je pense que j’étais le seul handi à en faire, mais en kite nous devons être plusieurs. Il faut associer l’adaptabilité et l’anticipation, c’est ce qui me permet d’avoir des performances. Quand je pilote le kite, je ne le pilote en effet que d’une seule main, sur un bord je le pilote normalement, mais sur l’autre bord ma main droite est à l’envers, sur la gauche de la barre. Cela demande beaucoup d’adaptabilité au niveau du cerveau pour ne pas faire d’erreurs. Clairement, j’ai deux fois moins de puissance qu’un athlète valide en speed. Quand on atteint de hautes vitesses, physiquement ça tire. Il faut trouver des astuces de navigation, cela vient avec l’expérience. Le matériel doit également être extrêmement fiable et bien réglé, car je ressens tous les effets parasites. Un valide va compenser avec un physique, moi je ne peux pas, je vais donc optimiser le matériel pour avoir le moins d’efforts possibles à fournir. En speed et foil, je compense beaucoup avec les jambes. J’ai un travail bassin-jambes extrêmement important, ce qui m’a valu des problèmes physiques en windsurf où le physique compte d’autant plus. En kite, les jambes, l’épaule et et le bassin vont compenser l’asymétrie de ma navigation…

Que représente le Mondial du Vent à tes yeux ? C’est là où tout a débuté pour toi en speed..
J’avais effectivement un parcours course ou vagues extrêmes, mais j’étais très tenté par la vitesse, qui permet d’avoir un temps de référence. La vitesse, ça fait rêver tout le monde, que ce soit en moto, en voiture ou en kite, où l’on a pas de limites ! J’ai demandé à Pascal Maka, qui était le directeur de course du Mondial du Vent, s’il m’acceptait sur un parcours de vitesse, ce qu’il a fait. C’est aussi grâce à lui que j’ai réussi à avancer dans ma carrière. La première étape a été de trouver le matériel adéquat sur ce support, la vitesse, assez spécifique. J’ai participé en 2014, en 2015 jusqu’à la consécration en 2016, où je finis 7e mondial parmi les valides. C’est une satisfaction personnelle, cela concrétisait deux années d’entraînement et d’analyse de cette discipline de la vitesse.

Le 23 octobre 2014, tu claques donc un nouveau record du monde handisport de vitesse en kitesurf. Que représente ce record pour toi ?
C’est un chrono validé par les plus hautes instances internationales, c’est là aussi une satisfaction personnelle après deux ans de travail. Nous étions à Luderitz en Namibie, avec beaucoup de risques car le canal fait 7 ou 8 mètres de large. Mais c’est un risque calculé, on ne fait pas n’importe quoi… Je sais que je peux aller plus vite, mais il faut avoir les conditions psychologiques, d’angle de vent, de qualité de plan d’eau et d’entraînement préalable pour réaliser un record. L’environnement est important mais le risque aussi, puisque je me suis démis l’épaule après ce record du monde, ce qui me laisse encore quelques séquelles. Je suis satisfait de ce record, mais j’aurais aimé le pousser plus loin, l’accident m’a un peu freiné sur l’instant T. Je pense que je battrai à nouveau ce record, je veux vraiment me rapprocher des 50 nœuds et des chronos des valides. Je suis très fier de cette 7e place parmi les valides, il n’y a pas d’équivalent tous sports confondus de relations handi/valides, cette mixité est vraiment intéressante. Les autres coureurs m’apportent beaucoup, j’espère leur apporter un peu… J’adore la vitesse !

Que t’inspire le récent record du monde d’Alex Caizergues ?
On ne se croise pas tous les jours mais on est amis et on partage beaucoup sur les compétitions de speed. Comme lui, je suis dans cette dynamique d’aller battre mon propre record. Un record du monde, c’est toujours un gros engagement, une grosse préparation pour une vingtaine de secondes d’effort sur 500m. Le record en lui-même, c’est donc à peine vingt secondes. Pris dans l’absolu, c’est ridicule, sauf que pour aller à ces vitesses-là sur vingt secondes, c’est énormément de préparation physique, psychologique et matérielle. Je suis hyper content pour Alex. Les records sont faits pour être battus, quelque soit la discipline et lorsque l’on bat son propre record, je pense que c’est encore plus satisfaisant.

As-tu prévu de nouvelles tentatives l’an prochain ?
Cela dépendra des possibilités, la problématique dans le speed est de trouver une zone de record officielle avec un angle de vent, un plan d’eau le plus plat possible et une force de vent élevée. Alex cherche plutôt du 50/55 nœuds, pour ma part 45 nœuds me suffisent. Alex a son propre canal (aux Salins-de-Giraud, ndlr), Luderitz est un très beau canal mais avec les risques que cela peut occasionner… Je pense que je peux améliorer mon record sur le canal de La Palme, Alex et Sylvain Hoceini étaient à 46/47 nœuds de moyenne lorsqu’ils l’ont testé, au-delà de mon record donc. J’aimerais bien me rapprocher des 50 nœuds… Wait & see, cela ne dépend pas que de moi, il faut à mon sens pouvoir financer un an de préparation et les chronométrages…

Depuis 10 ans, tu planches sur un énorme projet, le kiteboatspeed, un bateau équipé de foils et tracté par une aile de kite. Peux-tu nous en parler ?
Le kiteboatspeed, porté par l’association Air Océan, est le fruit d’un travail sur les bateaux aérotractés. Avec Christophe Martin, nous travaillons depuis 2007 sur des tripodes, des engins volants aérotractés avec une coque centrale et deux skippers, un pilote aile (à l’avant) et un pilote bateau. Le pilote bateau va gérer la direction et l’incidence des foils, quand il y en a. Pour te donner un ordre d’idées, dans 15 nœuds de vent on est déjà à 30 nœuds de vitesse… Il faut donc une bonne synchronisation entre les deux personnes pour que cela performe. Sur la version V2 présente sur le Nautic cette année, l’ergonomie ressemble à un jet-ski sur la partie supérieure de la coque. La coque est de type moto avec une selle. Nous partons dans deux directions, un kiteboatspeed à destination des écoles de kite et clubs, et un engin volant plus élitiste, pour les régates. La fondation Mallet nous finance une partie de la R&D, l’école ESTACA et son association Estaca Sailing nous ont beaucoup aidé, tout comme la Fédération Française de Voile.

Le kiteboatspeed a été créé pour changer le regard sur le handicap. Quel message voudrais-tu faire passer aux personnes en situation de handicap qui aimeraient se mettre au kite ?
Le kiteboatspeed a été créé car, avec Christophe Martin, nous souhaitions piloter un engin dynamique à deux. Christophe est paraplégique, il a donc encore moins de mobilité que moi. Nous voulions un bateau pour tous, un bateau qui soit utilisable par les valides comme par les handi. Mon message est donc : venez faire du kite, venez faire du kiteboat ! Ce support flottant permet d’adapter les postes de pilotage aux types de handicap. Il est aussi une façon de s’ouvrir aux gens qui ne viennent pas de la voile, au grand public. Le kiteboatspeed est une moto à 3 roues qui flotte et qui est aérotractée. On a tous déjà fait du vélo, on a tous déjà joué au cerf-volant… On espère que cela englobera des personnes issus de tous horizons. On peut en tout cas faire de la voile en situation de handicap, venez pratiquer !

Tu es un homme de défis, on l’a vu. Quels sont tes prochains challenges et objectifs ?
Le prochain challenge est peut-être de battre mon propre record du monde de vitesse et de refaire des défis-traversées sur des foils. Les défis de manière globale, en longue distance, m’intéressent, de même que les défis bateaux à deux. Ce travail de préparation en équipe m’intéresse beaucoup. Le fait d’avoir un support flottant comme un bateau permet de mener des défis difficilement réalisables en individuel. C’est clairement tout cela qui me fait vibrer aujourd’hui !

Interview réalisée par Nicolas Arquin