Entretien avec Tess Ledeux

A l’âge où on apprend à skier, elle avait déjà tout gagné. Cousine d’un célèbre champion de ski et native d’une station de ski réputée, Tess Ledeux ne pouvait pas faire autrement et son destin était déjà tout tracé pour elle. Le talent et la motivation l’ont aidé à faire le reste et aujourd’hui la française est une des plus titrées en ski freestyle alors qu’elle est tout juste majeure. Elle nous raconte ici le secret de ses succès en toute humilité.

Pourrais-tu te présenter en quelques mots à ceux qui ne te connaissent pas ?
Je m’appelle Tess Ledeux, j’ai 18 ans, je passe actuellement mon bac ES. J’habite à La Plagne et je fais du ski freestyle, mes spécialités sont le slopestyle et le big air.

Tu as quasiment appris à skier avant de marcher, c’est donc naturel pour toi de glisser sur la neige mais as-tu déjà essayé les autres éléments comme les vagues ou le skatepark ?
Effectivement je suis née à la Plagne, une station de ski donc c’était une évidence pour ma famille de me faire essayer le ski très tôt. J’ai rapidement accroché aux sensations que cela me procure et je n’ai jamais arrêté. J’ai quand même pu essayer toutes sortes de sports tels que le snowboard, le skate, le wake ou encore le surf. J’adore les sports de glisse en général donc j’en profite durant toutes les saisons mais je pense que mon élément c’est vraiment la montagne. Je ne me suis jamais posée la question de savoir si je devais faire autre chose que du ski, car ce qu’il me fallait c’était de la neige !

Quel parcours et quel palmarès alors que tu n’as que 18 ans, comment expliques-tu cela ?
C’est toujours difficile de décrire son parcours mais c’est vrai que le mien est plutôt atypique ! J’ai commencé le ski freestyle à l’âge de 9 ans et la compétition en même temps. J’étais dans un groupe entouré uniquement de garçons mais cela ne me posait pas de problème. J’ai rapidement pris du niveau et je suis donc rentrée en équipe de France à 14 ans. J’ai fais ma première saison en haut niveau (toujours qu’avec des garçons) à 15 ans et lors de ma première étape de coupe du monde, grosse surprise pour moi, je gagne. Cela a été le début d’une longue expérience à laquelle je n’étais pas du tout préparée. Tout s’est enchaîné rapidement, j’ai gagné les championnats du monde et ma première médaille aux X-games la même année. Puis à 16 ans j’ai participé à mes premiers Jeux Olympiques et à 17 ans je remportais une deuxième fois les championnats du monde mais cette fois ci en Big air. Et puis cette année, je viens de remporter ma première médaille d’or aux X-Games (la compétition la plus reconnue dans le monde du freestyle). Je ne réalise pas vraiment ce que je vis et ce que j’accomplis mais je pense que cela vient du fait que je suis vraiment passionnée par mon sport et que je me donne à fond dedans depuis toujours. Le fait de m’être entraînée avec des garçons et des personnes bien plus âgés que moi depuis mes débuts m’a beaucoup apporté aussi.

Quand tu avais 15 ans, on disait de toi que tu avais le niveau d’un homme. Était-ce un compliment à tes yeux ?
Je le prenais effectivement comme un compliment, mais le niveau des filles a vraiment progressé aujourd’hui. Ce n’est plus la peine de les comparer aux hommes, de nos jours les filles ont créé leur place dans ce sport, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans… C’est toutefois assez flatteur d’être comparée à eux.

De quel titre es-tu la plus fière et pourquoi ?
Le titre dont je suis la plus fière est sûrement ma médaille d’or aux X-Games d’Apen en 2020. C’était mon rêve depuis toute petite et c’est la compétition la plus belle de notre discipline. De plus je n’étais pas vraiment préparée techniquement car je me suis blessée avant la saison donc c’était une grosse surprise pour moi. J’ai toujours rêvé d’une médaille d’or aux X Games ou aux Jeux Olympiques, à mes yeux elles avaient la même valeur. Celle des « X » est arrivée plus tôt, c’est sans doute pour ça qu’elle a une saveur particulière. Je me suis vraiment battue car je me suis fait mal au genou en septembre 2019, je n’ai donc pas eu de préparation physique ou sur les skis.
Finalement je n’ai skié qu’un mois et demi durant cette saison, car je me suis reblessée début février. Cette victoire aux X Games est intervenue à un moment où j’en avais vraiment besoin pour me remettre en confiance. J’avais besoin de me confirmer que j’étais encore dans le coup, ce sacre avait donc un goût un peu spécial. Et puis c’était ma première médaille d’or à Aspen, un événement mythique pour les riders.

Aujourd’hui, t’amuses-tu davantage en big air ou en slopestyle ?
Les deux disciplines sont vraiment différentes et c’est difficile de choisir mais je dirais que le Big air a un effet de show avec souvent plus de public et donc cela entraîne de l’euphorie et beaucoup de fun. Cela me plaît de pouvoir montrer la beauté de notre sport alors que d’habitude, jamais personne ne s’y intéresse. Le big air est par ailleurs moins exigeant que le slopestyle, nous avons moins de sauts à effectuer. Cela enlève de fait forcément un peu de pression. Alors que le slopestyle est plus exigeant avec plus de modules et donc la pression est différente et souvent supérieure. Je m’éclate plus en big air, honnêtement, parce qu’on a un lien avec le public, il y a du monde en bas… Nous n’avons jamais connu ça en faisant du slopestyle !

Tu es la cousine de Kevin Rolland, n’en avais-tu pas marre qu’on te parle de lui à tes débuts ?
Je sais pas si je suis plus connue que lui maintenant mais c’est vrai que j’ai réussi  à me créer ma place et mon histoire. Pendant mes premières années en haut niveau et lors de mes premiers gros résultats je n’étais pas « Tess » mais «  la cousine de Kevin Rolland » donc ce n’était pas facile et j’avais l’impression d’être reconnue que par ce que j’étais sa cousine et pas grâce a mes performances. J’essayais de me détacher le plus de lui et de montrer que j’étais différente et que j’avais de nouvelles choses à montrer. Nous avons trouvé un équilibre, on continue à faire beaucoup de photos et d’images ensemble car nous voulons conserver cet esprit de famille. En ayant chacun son identité.

Quelle est ta principale concurrente sur le circuit ?
Cela dépend des disciplines, Kelly Sildaru n’est plus trop présente en big air, ce n’est plus vraiment sa priorité. Aujourd’hui, le big air est mon point fort mais je ne veux surtout pas lâcher le slopestyle, une discipline où j’ai la plus grosse marge de progression… Les Suissesses vont être désormais mes principales concurrentes en big air et également en slopestyle. Je n’ai jamais encore battu Kelly en slopestyle, cela figure donc dans mes objectifs. Je l’ai battue cette année pour la première fois en big air, c’était déjà assez plaisant !

Première compétition à 9 ans, Championne de France à 13 ans, championne du monde à 15 ans… On n’ose pas imaginer ce qui va se passer à 20 ans et plus tard, y penses-tu un peu quand même ?
J’ai encore tellement de choses à accomplir pour atteindre mes objectifs… Je n’ai encore rien fait aux Jeux Olympiques, cela serait quelque chose de fou si j’arrivais à signer une performance là-bas… Les Jeux, c’est tous les quatre ans et j’ai l’impression de ne pas encore savoir gérer un tel événement.

Les jeux de Pékin en 2022, y penses-tu déjà ou c’est trop tôt ?
Les gens commencent déjà à me parler des JO de Pékin, c’est à cause d’eux que je commence à y penser (rires). J’essaie de ne pas y songer car j’ai encore beaucoup de choses à faire avant cela, avec une saison 2021 bien remplie avec les championnats du monde et les X Games… Je dois me remettre de ma blessure, ce n’est pas facile car je me dis qu’on attaque désormais les deux années où il faut vraiment progresser, et j’ai un peu été freinée à ce niveau-là… Je n’ai toujours pas de Globe de Cristal, ni de médaille d’or en slopestyle… la route est encore longue !

Penses-tu te lasser de ton sport dans quelques années ?
Je ne pense pas me lasser d’ici quelques années, le but n’est pas uniquement de signer un résultat de plus mais surtout de faire progresser encore et encore ce sport, qui est en plein renouvellement, en montrant de nouvelles choses.
C’est un aspect que j’aime bien également. La progression de notre discipline est encore tellement grande, surtout chez les filles, que l’on ne peut pas se lasser et se contenter d’un résultat… Je ne suis pas fière de certains de mes résultats, car j’estime que mon ski n’était pas à la hauteur. De fait, je suis fière de mes « X » à Aspen car je sais que ce soir-là, j’étais vraiment à mon top niveau. Je ne regrette rien alors que j’arrive toujours à trouver une petite erreur dans mon ski, pour tous mes autres résultats. C’est pour ça que je ne me lasserai jamais, j’aurai toujours des choses à améliorer !

Comment gères-tu les blessures ?
Je pense que ma blessure en février 2020 est survenue au bon moment, car il y aura les championnats du monde en 2021, les Jeux en 2022… Cela me permet de pouvoir penser correctement à la suite, sans me précipiter. C’est un point positif et je pense que c’est comme cela qu’il faut le voir. Ceci étant dit, ce n’est jamais facile, le temps passe très très lentement lorsqu’on est blessé… ce n’est pas simple de rester sur son canapé et de voir tous les autres skier !

Comment cumules-tu les études et ta vie de rideuse pro ?
J’essaie de faire au mieux (rires), ce n’est pas facile ! Je ne veux vraiment pas lâcher les études car c’est quelque chose qui m’équilibre dans ma vie de tous les jours. Cela me permet de garder les pieds sur terre et d’avoir d’autres objectifs en dehors du ski, afin justement de ne pas me lasser trop vite. Cela me fatigue de cumuler études et ski lorsque je suis en pleine saison. Parfois je n’ai pas la tête à travailler et d’autres fois, je n’ai pas envie de retourner m’entraîner lorsque je suis à l’école. Mais je pense que ce fonctionnement est celui qui me correspond le mieux à l’heure actuelle.

As-tu déjà une idée de ce que veux faire après ta carrière ?
Je ne veux clairement pas arrêter les cours, mais je ne sais pas encore ce que je voudrais faire plus tard. Je souhaite m’orienter dans le marketing, c’est une branche qui m’attire. Je poursuivrai donc mes études dans ce domaine, après le lycée. J’aimerais d’ailleurs sortir du domaine du sport après ma carrière.

Vis-tu aujourd’hui de ta passion ?
Je vis en effet de ma passion, même si cela reste encore éloigné de ce que les garçons peuvent obtenir à niveau équivalent, et très très loin du ski alpin ! Mais j’arrive à en vivre donc je ne vais pas me plaindre, dans certains sports ce n’est pas le cas…  Mes sponsors ne me mettent pas particulièrement la pression, ils sont bien sûr contents quand je réalise une belle performance, mais ils ne me lâcheront pas si je fais une ou deux saisons pas extraordinaires. Je sais que je peux compter sur eux !

Maintenant que tu les as testés, tu préfères les snowparks français ou américains ?
Il n’y a pas trop de comparaison possible puisque nous n’avons presque plus de snowparks en France ! Cela devient très compliqué, il y a peut-être Val Thorens qui fait encore un snowpark mais de moins en moins axé vers le haut niveau.
Les stations n’ont plus pour objectif de mettre de l’argent dans des snowparks et cela peut se comprendre, très peu de personnes vont aller sur les gros sauts.  Aux États-Unis, il y a une longue culture du freestyle, que l’on n’a pas en France…

Y a t-il des tricks que tu as inventé ou des petites variantes dont tu es fière ?
Je n’ai pas inventé de figures car elles sont toutes créées avant par les garçons, mais j’étais la première fille à replaquer un double cork dans un run de slopestyle. J’essaie de trouver de nouvelles figures, mais même les garçons n’arrivent pas à en imaginer d’autres aujourd’hui…. Cela fait au moins trois ans qu’il n’y a pas eu de tricks inédits en ski freestyle. Aujourd’hui, la nouvelle mode chez les garçons est de poser avec un ski dans la main, ou de partir avec un ski dans la main… Mais pour créer une figure, cela s’annonce compliqué !

En quoi est-ce difficile d’être une sportive aujourd’hui ?
C’est vrai que c’est compliqué de véhiculer une bonne image mais il faut noter que cela progresse. Il y a cinq ans, les skieuses se faisaient beaucoup critiquer, on leur reprochait de mal skier, de ne pas avoir un bon style…Ce n’était pas l’image du freestyle que les gens, notamment les riders, souhaitaient voir. C’était assez compliqué de montrer une belle image de la femme dans les sports extrêmes. Ce qui est compliqué pour les skieuses, c’est de montrer leur féminité. Si tu es trop féminine, on va dire que tu ne rides pas assez fort, que ce n’est pas assez stylé, que ça ne correspond pas aux sports extrêmes… Rester une fille tout en envoyant du lourd est difficile. Personnellement, je fais du shopping, j’adore prendre soin de moi… mais à côté, je peux aussi envoyer du lourd, être une casse-cou, me faire mal et ne pas avoir peur du risque. Il faut donc trouver le bon dosage, le bon mélange. En surf, si tu n’es pas une rideuse qui se montre un peu en bikini, tu vas avoir plus de mal à être connue. C’est dommage ! Nous n’avons pas cette image-là dans le ski, on passe pour des garçons manqués, des rideuses pas féminines alors que si, on peut très bien être casse-cou et féminine. C’est ce que j’essaie de montrer également.

Le Freeride World Tour a annoncé début 2020 que les prize money attribués seraient identiques pour les femmes et les hommes, comme sur la World Surf League. Que représente cette décision à tes yeux ?
Cette décision est tout a fait normale et même arrivée bien trop tard à mon goût. Dans notre discipline cela fait plusieurs années maintenant que les Prize money sont égaux mais le combat a été long. Les filles n’ont pas les mêmes conditions physiques que les hommes et donc sportivement il y aura toujours une différence. Mais cela n’enlève pas le fait que les filles se donnent autant que les garçons, qu’elles s’entraînent autant que les garçons, que la prise de risque est la même et donc les droits et les Prize money doivent être égaux. Je travaille par exemple autant que les garçons de mon équipe, je fais autant de préparation physique. Je me dis qu’il y a des mentalités qui doivent encore évoluer. Certains garçons qui pratiquent ma discipline ne comprennent en effet pas que les prize money soient égaux. Pourtant, je travaille autant qu’eux, je me donne autant !

Quels conseils donnerais-tu à une jeune skieuse ?
Je lui dirais de foncer, de croire en elle et en ses capacités à pratiquer cette discipline du freestyle. Nous avons besoin de filles dans ce milieu-là, nous ne sommes pas assez nombreuses en France. Girl power !

Que fais-tu quand tu ne skies pas ? As-tu d’autres passions ?
Quand je ne skie pas, je suis à l’école (rires). Lorsque je le peux, je vais faire du skate, du wake, un peu de vélo… Mais il me manque du temps pour développer vraiment une autre passion !

Quels sont tes projets?
Avoir mon bac, mon permis, tout ce qu’il faut quand on a 18 ans… J’aimerais également mettre en place des projets vidéos.

Des personnes à remercier ?
Je remercie ma famille car ils m’ont toujours soutenue, ainsi que mon coach, mon préparateur physique et mon kiné qui sont toujours là pour moi !