Interview de Benjamin Sanchis, alias « Sancho », star du big wave riding et du film « Vague à l’âme ».
Si vous ne connaissez pas Benjamin Sanchis, alias Sancho, retenez ceci : cet homme est tout simplement l’un des meilleurs surfeurs de grosses vagues au monde. Le rider français originaire d’Hossegor, aujourd’hui installé à Fuerteventura dans les îles Canaries, aime défier des murs d’eau XXL dans des conditions dantesques. Multi-nominé aux Big Waves Awards, cérémonie qui récompense les plus grosses performances dans la discipline, dont encore en 2018, « Sancho » se livre corps et âme pour le surf de gros. Révélé aux yeux du grand public en décembre 2014, pour son ride d’une vague de 33 mètres de haut à Nazaré, spot où il a encore surfé une vague de 25 mètres en janvier 2018, Benjamin Sanchis est une force de la nature. Une force tranquille, comme nous avons pu le constater en interview…
Mardi 15 mai, dans les locaux de l’agence North Communication, nous avons ainsi eu le privilège de passer une demi-heure avec Sancho, pour parler de son film « Vague à l’âme », réalisé par Vincent Kardasik. Benjamin Sanchis, qui a débuté le surf à 7 ans sur la plage des Estagnots (Hossegor), grâce à son père, a répondu avec entrain à toutes nos questions.
– Benjamin, on te retrouve dans le film Billabong « Vague à l’âme », en compagnie de Shane Dorian et Justin Bécret. Quel est l’objectif de ce documentaire ?
L’objectif était de vraiment raconter ce par quoi l’on passe à chaque fois que l’on part faire de petites missions, des aventures en Irlande, à Hawaii, en Indonésie… Avec Vincent Kardasik, le réalisateur, nous avions effectué une mission en Irlande qui s’était très bien passée, nous avions surfé des vagues incroyables. Au final, nous n’avions sorti qu’un petit vidéo-clip de 3 minutes pour Internet. Nous nous sommes dit que nous passions à coté de beaucoup de choses, d’où l’envie de réaliser un projet où l’on puisse raconter beaucoup plus de trucs. C’est ça qu’aiment voir les gens, et c’est ça que nous avions envie de transmettre : tout ce qu’il y a autour du surf, pas forcément que de l’action et des vagues, des vagues, des vagues… C’est beaucoup plus compliqué que cela, le fait de savoir comment on se retrouve là est intéressant, on ne choisit pas les spots par hasard. Parfois on fait des erreurs vraiment énormes, parfois nos planches n’arrivent jamais, parfois il n’y a pas de vagues du tout sur place… C’est tout ça que l’on voulait montrer.
-Combien de temps le tournage t’a t-il mobilisé ?
Un peu plus de 2 ans, cela a duré environ 2 ans ½. Nous allons vraiment voulu prendre le temps de bien faire les choses. L’an dernier, nous avons fait un peu trop d’erreurs, c’était bien pour le film mais du coup nous n’avons pas pu le sortir, nous n’étions pas satisfaits du rendu. Nous avons préféré attendre une saison de plus afin de prendre le temps d’avoir de meilleures images.
-Quels sont les meilleurs souvenirs que tu gardes de ce tournage ?
L’ensemble du tournage ! Ce n’était que du plaisir à chaque fois, que ce soit en Indonésie sur un bateau, en Irlande en train de surfer plus ou moins seul ma vague préférée au monde, Mullaghmore… Ce ne sont que des bons souvenirs. Nous avons également passé un mois à Hawaii, à essayer de surfer Jaws. Tout était bon, c’est limite triste que ça soit fini !
-Dans le film, François Liets apparaît comme un fil rouge par ses conseils quant au choix des spots et ses témoignages te concernant. Quelle relation as-tu avec lui ?
Avec François, cela fait très longtemps que l’on se connaît et que l’on se côtoie. C’est presque une relation paternelle… C’est un peu grâce à lui que la Billabong Adventure a débuté, il a débloqué les budgets grâce au budget marketing dont il disposait chez Billabong. C’est François qui déclenche toutes les aventures, qui regarde tous les bulletins météo, qui organise tout. C’est un bon personnage dans le film. Il y a des trucs que l’on a pas montré, il y a eu des scènes incroyables ! A l’aéroport en Irlande, à Dublin, tout le monde pète les plombs et crie, s’envoie chier… Il y a eu des moments extraordinaires quand même !
-Il y a un casting XXL comme la taille des vagues, avec Shane Dorian, Justin Becret, toi… Que peux-tu nous dire sur les différents surfeurs qui t’ont accompagné sur le tournage ?
C’est vrai que les surfeurs étaient incroyables… On a commencé avec Eric (Rebière), qui a dû nous quitter pour différentes raisons, puis Shane nous a rejoint. Il est le meilleur surfeur de grosses vagues à l’heure actuelle, on ne pouvait donc pas rêver mieux pour le film. Nous avons eu également la bonne surprise Justin Bécret, 15 ans, qui a vraiment un futur très prometteur, à mes yeux, dans le surf de grosses vagues et le surf en général.
-Concrètement, comment s’est déroulé le choix des spots ?
Concrètement, nous disposons d’un panel de spots assez large, un peu partout dans le monde. On a essayé de varier entre des spots connus et des spots pas très connus. Nous étions ouverts à toutes les destinations, que ce soit l’Australie de l’Ouest, en passant par l’Irlande, Hawaii, Belharra, les Canaries… On a tout essayé !
– Les avants-premières vont arriver, je suppose que tu es impatient de montrer ce film aux médias et passionnés de glisse…
Oui nous avons une très belle tournée, cela commence par Londres le 19, puis Lisbonne, Barcelone, Munich et Paris le 31 mai… Il me tarde vraiment de voir le film sur grand écran, car Vincent a tout filmé en 8k. J’ai vu le film sur un ordinateur, en basse qualité, et je suis donc impatient de voir comment cela va rendre au cinéma ! J’espère que les gens vont venir voir le film, c’est à ce moment-là qu’on saura si notre projet a fonctionné ou pas.
-Quelles sont les qualités à avoir pour être un bon surfeur de gros et aller défier des vagues de 20 mètres de haut ?
Il faut avoir du cœur, il faut vraiment le vouloir et être passionné des grosses vagues. Il faut avoir envie d’aller surfer ces vagues et tous ces spots mythiques. Il faut être quelque part casse-cou mais pas tête brulée, pas fou furieux… Il faut être un athlète et avoir de bonnes qualités physiques.
-Quels sont tes points forts en tant que big wave rider ?
Je ne sais pas trop ! Je m’entraîne pas mal afin que mon corps soit prêt, cela aide ma tête à se sentir prête dans les moments importants, cela donne confiance. Je pense pouvoir résister à des bons impacts, tenir un certain temps sous l’eau… Je n’ai pas de préparateur mental, je gère cela tout seul. Il faut le vouloir. Il y a deux ans, nous sommes partis à Jaws, nous y avons passé un mois ½. C’est la première fois que j’y allais, il faut avoir le bon matos et s’investir, c’est comme ça que l’on réussit ! On passe différentes étapes, on essuie quelques échecs, on prend le temps… J’ai une bonne étoile quelque part, ça se passe bien.
-Le surf de grosses vagues peut être une discipline dangereuse si l’on ne maîtrise pas tous les risques. Quel est ton rapport au danger ?
Quand j’arrive sur un spot que je ne connais pas, j’essaie vraiment de faire la balance entre les risques que je vais prendre et ce que cela va me rapporter, au niveau satisfaction de surf ou autres. Si le risque est trop élevé par rapport à ce que je vais en retirer, je ne le fais pas. Parfois, tu es à l’eau et la vague vient vers toi, c’est elle qui quelque part te choisit. Mais il faut y aller tranquillement, il ne faut pas trop s’énerver dans ce genre de situations… Tout se fait au feeling, parfois tu vas te réveiller et sentir que tu es prêt à tout, à d’autres moments tu vas sentir qu’il faut y aller un peu plus tranquillement… Parfois, tu as besoin que quelqu’un te pousse un peu. Il faut s’écouter, analyser comment on voit les choses et ne pas trop pousser le bouchon.
-Après avoir remporté un Big Wave Awards en 2011 pour avoir ridé Belharra, tu as été révélé aux yeux du grand public en décembre 2014, lorsque tu as surfé une vague de 33 mètres de haut, la fameuse vague des 100 pieds, à Nazaré. Que ressent-on lorsque l’on ride une vague d’une telle hauteur ?
J »ai ressenti plein de choses (sourire) ! Avec mon partenaire Eric, on a passé beaucoup de temps à voir si c’était faisable ou pas, on a tourné au moins une heure ou deux au large… On a vu que la vague arrivait, Eric m’a demandé si je la voulais, j’ai dit « oui ! » et je suis parti… Je n’ai pas vraiment réussi à descendre jusqu’en bas, au début c’était bien mais je me suis ensuite aperçu que c’était un peu trop gros et que je n’allais pas forcément y arriver. Puis je me suis fait exploser comme jamais, j’ai passé beaucoup de temps sous l’eau…
-Tu avais d’ailleurs décroché le prix du Wipeout de l’année aux Big Wave Awards 2015. Trois ans après, que t’inspire ce choix du jury ?
Je ne cours pas vraiment après les prix, j’aime ce que je fais, je suis très content d’avoir cette opportunité d’aller surfer les vagues de mes rêves… C’est sûr que j’aurais préféré recevoir le prix de la plus grosse vague jamais surfée, au lieu de la plus grosse gamelle de l’année. Mais c’est comme ça, tu vois.
-Tu n’as donc pas de pincement au cœur quand Rodrigo Koxa rafle cette année le prix de la plus grosses vague, alors que tu as surfé quasiment 10 mètres de plus en 2014 ?
Non, même si je ne vais pas te mentir, cela fait toujours plaisir d’obtenir ce genre de prix. Mais si vraiment je voulais gagner ça, je passerais tous mes hivers là-bas (à Nazaré, ndlr), je me focaliserais exclusivement là-dessus. Je préfère aller surfer de belles vagues en Irlande, réaliser le film que nous avons fait, « Vague à l’âme », plutôt que m’entêter à surfer ce genre de vagues… Cela fait quatre ans que je n’y étais pas allé, j’y suis allé pour le film et pour moi également, pour me prouver que je pouvais avoir une fin joyeuse sur cette vague, en la ridant jusqu’en bas.
Mais moi, mon truc, ce n’est pas ça, ce n’est pas les records. Ce que j’adore, c’est filmer de belles vagues et de beaux reportages.
-On a l’impression que tu as malgré tout une relation particulière avec Nazaré, où tu as encore surfé en janvier une vague de 25 mètres…
La relation que j’ai avec ce spot n’est pas forcément incroyable, si tu fais du big wave riding il faut y aller, que tu aimes ou non cette vague… Cette vague est particulière, l’endroit est magnifique et unique. J’y suis allé une fois à la rame avec Shane Dorian, même si on ne l’a pas mis dans le film. Je pense que je repartirai l’année prochaine pour prendre des vagues à la rame, j’y vais donc de temps en temps. Je ne suis cependant pas focalisé là-dessus, c’est une vague parmi tant d’autres en Europe.
– Entre le tow-in et le surf à la rame, as-tu une préférence ?
Je ne veux pas rentrer dans ce débat « il ne faut pas faire de tow-in, il ne faut faire que de la rame », ou inversement. Les deux m’apportent des sensations incroyables et beaucoup de plaisir dans ce sport. J’adore aller prendre des vagues à la rame à Jaws, avec Shane ou des riders qui sont là-bas, comme j’adore tout autant prendre des vagues en tow-in à Mullaghmore, en plein hiver, avec François…
-Peux-tu nous donner ton Top 5 des spots pour la pratique du big wave riding ?
Par rapport aux vagues que j’ai surfé, je dirais Jaws, Teahupoo, Mullaghmore, Nazaré et Mavericks.
– Y’a t’il justement une vague que tu n’as pas encore surfé et que tu rêverais d’affronter ?
J’aimerais bien surfer une vague comme Shipstern, en Tasmanie, qui semble rapide et marrante à rider. J’aimerais également aller en Western Australia surfer la fameuse droite. On devait s’y rendre pour le film mais on a fait un fiasco, on est arrivés le lendemain… J’espère aussi surfer Cloudbreaks !
-As-tu un but ultime ?
Réaliser tous mes rêves en tant que surfeur, aller surfer toutes les vagues que je rêvais de rider dans ma jeunesse et me retourner sur ma carrière avec le sourire, avec tous mes objectifs accomplis !
– As-tu une idole dans le monde des sports extrêmes ?
Pas forcément… J’aime bien regarder les boxeurs car ce sont des gens qui font beaucoup de sacrifices, qui s’infligent des heures et des heures d’entraînement, qui sont ultra-déterminés.
-Pratiques-tu aujourd’hui d’autres sports extrêmes en dehors du surf ?
Je fais du snowboard avec un ami qui habite à Chamonix, j’essaie d’y aller une fois par an. Je faisais par le passé un peu de bowl en skate, pour m’entraîner et garder les jambes un peu solides.
– Quel est ton planning pour les semaines à venir ? Nouveaux trips en perspective ?
J’aimerais me rendre en Indonésie mais les semaines qui viennent sont vraiment dédiées au film et aux avants-premières. J’espère faire un trip express en Indo, puis je vais être papa donc ça s’annonce compliqué de repartir en trip ces prochains mois !
– Un message pour les jeunes qui aimeraient faire du surf de grosses vagues ?
Le meilleur conseil que je puisse leur donner, c’est de ne pas gaspiller bêtement son temps à ne rien faire, et à avoir un objectif et s’y tenir, en s’entraînant et en s’y consacrant à 100%.
– Quand on est jeune, est-ce important d’avoir un mentor dans le big wave riding ?
Oui c’est super important, surtout au niveau du matériel, du savoir que l’on peut recevoir concernant les spots et les conditions nécessaires pour aller surfer ces vagues. Justin a 15 ans, il ne sait pas forcément tout concernant Jaws et Mullaghmore, mais il gagne beaucoup de temps, ne serait-ce que concernant le placement sur ces vagues.
– Avant d’aller affronter Jaws, avais-tu une petite appréhension ?
J’avais super peur oui ! Cette vague terrorise, surtout qu’il y a beaucoup de monde… Tu peux facilement te faire mal et sortir de l’eau sans prendre une vague. Je m’étais dit que je pouvais très bien ne pas surfer une seule vague là-bas… Shane m’a beaucoup aidé en me conseillant sur le matériel et les planches que j’avais commandées, sur le placement sur les vagues, sur le positionnement de mes pieds… Il m’a mis en confiance en me présentant aux gens là-bas, cela aide !
-Comment Billabong t’as t-il aidé sur ce film ?
Billabong est mon premier sponsor, ils me soutiennent depuis que j’ai 13 ans, c’est grâce à eux que j’ai pu avoir cette vie de big wave rider. A force d’avoir tourné des petits clips « à droite à gauche », Billabong s’est dit qu’ils allaient débloquer de l’argent pour que l’on puisse financer le film. Monster, mon autre sponsor, nous a également aidés, en nous donnant une bonne partie du budget nécessaire à la réalisation de « Vague à l’âme ». Vans m’aide beaucoup également, mais pour ce film ce sont exclusivement Billabong et Monster qui se sont impliqués. Ce qui est bien, c’est que ces deux marques nous ont vraiment fait confiance, elles nous ont laissé faire ce que l’on voulait, en nous donnant absolument carte blanche. Nous n’avions pas besoin de donner de nouvelles sur l’avancée du tournage, ils nous ont fait confiance et j’espère que le résultat leur a plu !
-Le mot de la fin ?
Je remercie toutes les personnes qui nous ont aidées pour ce film « Vague à l’âme », notamment les gens de Billabong et Monster donc, et j’espère qu’il y aura un second volet dans le futur ! Merci à Vincent Kardasik d’avoir filmé et d’avoir consacré autant de temps à le réaliser. Cela a été dur, cela nous a demandé beaucoup d’énergie et de voyages, j’espère que le public sera au rendez-vous.
Merci à toi !