Actuelle championne du monde de WCMX (fauteuil freestyle), la rideuse suisse a vu sa vie basculer en juillet 2015 lors d’une grosse chute en coupe du monde de VTT Enduro qui provoque un traumatisme crânien-cérébral et depuis Lorraine est remontée en selle pour tout fracasser avec une belle revanche sur la vie et le destin.
On te connait pour ton niveau en Fauteuil freestyle mais on sait que tu avais déjà un excellent niveau sur un bike. Peux-tu nous raconter ton histoire et ton évolution avant l’accident en 2015 ?
J’ai découvert le VTT à 12 ans, comme alternative estivale au ski. Je voulais clairement faire de la descente, mais mes parents étaient contre. Je me suis donc tournée vers le cross-country que j’ai pratiqué à haut niveau entre 16 et 22ans. Mais ce que j’aimais avant tout c’était m’amuser sur mes vélos (XC, Enduro, BMX, Trial, etc). A 22ans mes poumons n’arrivaient plus à suivre la charge d’entraînement qu’exige le XCO et j’ai donc décidé de mettre fin à ma carrière dans cette discipline et me tourner vers l’Enduro et dans une moindre mesure la DH. J’ai tourné sur les Enduro World Series de 2013 à 2015, oscillant entre top 10 et top 5.
Tu as déclaré « le fauteuil m’a permis d’avoir à nouveau envie de vivre ». La transition vers le fauteuil était naturelle ou tu es passée par plusieurs étapes ?
La transition a été longue, mais finalement plutôt naturelle. Au début j’ai eu beaucoup de peine principalement à cause du regard de l’autre. Mais assez vite le fauteuil est devenu un outil vers plus d’indépendance et une ouverture vers bien plus d’activités.
Passer d’athlète de haut niveau en MTB Enduro à débutante en fauteuil n’a pas dû être simple. Il a fallu tout réapprendre. Comment as-tu vécu cette nouvelle progression ?
Paradoxalement, c’était plutôt facile. Parce qu’en fauteuil je n’avais aucune attente, aucun point de comparaison avec « avant ». Avant d’essayer le sport en fauteuil, mes potes et moi avons essayé pas mal d’options pour me faire refaire du bike, de manière plus ou moins adaptée. Et là moralement c’était la cata. Je n’arrivais à rien et on était tellement loin de ma pratique avant l’accident que cela me dévastait. Mais avec le fauteuil je n’ai pas eu cette sensation de perte. J’avais tout à apprendre et donc tout à gagner.
On dit que tu étais la première rideuse suisse en WCMX. Qu’ont dit tes proches quant tu as annoncé que tu continuais à rider ?
Alors je ne pense pas l’avoir « annoncé », donc ils n’ont rien dit. Hahaha. Mes potes qui m’ont énormément soutenu après l’accident sont ceux avec qui je suis allé rouler les premières fois en fauteuil au skatepark. C’était donc assez naturel pour tous.
Quels sont les risques physiques aujourd’hui quand tu rides ?
Les mêmes que pour n’importe quel sport d’action. Je dirais que s’il y a un risque en plus c’est que je suis sanglé sur la chaise, donc pas moyen de m’en dégager en case de chute. Mais d’un autre côté il y a beaucoup moins d’amplitude dans les trajectoires et donc des vitesses et des accélérations limitées.
Est-ce que le WCMX t’a permis de trouver un nouvel équilibre aujourd’hui (au sens propre comme au figuré) ?
Probablement. De manière plus large, je dirais que le sport adapté m’a beaucoup aidé. Cela m’a permis de me retrouver un peu, de redécouvrir le ride entre amis et d’établir des buts qui ne soient pas uniquement liés à la rééducation.
On t’a vu remonter sur un vtt électrique spécialement fabriqué pour toi. Peux-tu nous en dire plus et si tu l’utilises encore aujourd’hui ?
Comme dit plus haut, après mon accident on a cherché des solutions pour que je puisse refaire du bike. Mais rien ne fonctionnait et moralement c’était plus négatif qu’autre chose. J’ai donc laissé le projet de côté pendant quelques années, tout en gardant un œil attentif sur ce qui se faisait. Connaissant le CEO de la marque Orange au Royaume-Uni, on a un jour discuté de ce qui serait faisable. Il était super motivé à me fabriquer un VTT adapté. Mais par manque d’ingénieur la partie conception ne pouvait pas se faire. C’est alors qu’on a contacté Alex Desmond un peu par hasard et qu’il nous a expliqué qu’il travaille sur un projet d’adaptive MTB depuis des années. Son design était très différent que ce qui se faisait dans les VTT adaptés, mais semble vraiment bien convenir à ce que je cherchais (un vélo qui me permette de rouler presque comme avant) et à mes capacités physiques. C’est comme ça que l’Orange AD3 est né.
Je le roule bien sûr encore. On est à la 2e version, parce que je roule principalement en bikepark avec et du coup il prend cher. Mais j’ai bon espoir que le développement soit bientôt fini et qu’une mise sur le marché, même limitée arrive.
Tu penses que tu pourras remarcher un jour et pourquoi pas pédaler ?
Alors comme la grande majorité des personnes utilisant un fauteuil roulant, je peux marcher. Cela me demande pas mal d’effort et de fatigue mais je ne suis pas paralysée. Pareil pour le pédalage, je peux le faire, mais c’est une dépense d’énergie énorme. Donc pour le moment l’équilibre que j’ai trouvé avec les adaptions me convient. On verra si cela change dans le futur.
Et à part le ride, tu fais quoi dans la vie ? Des études ? D’autres passions ?
J’ai fini mon master en mécanique à l’école polytechnique en 2014. L’ingénieurerie est clairement une passion. La science en général en fait, et particulièrement la cosmologie et les neurosciences. J’ai aussi un gros intérêt pour la cognition des chiens, leur manière d’apprendre et de « voir » notre monde. J’ai notamment formé mon chien d’assistance.
Tu as réussi une belle revanche sur la vie et la fatalité et tu es un exemple pour beaucoup de monde. Es-tu fière de ce que tu as accompli ?
Alors vraiment je ne me reconnais pas dans ces mots. Je ne suis pas fière de quelque chose pour lequel je n’ai pas eu le choix. Mise à part le suicide, je ne vois pas quelles options s’offraient à moi que de trouver comment m’adapter. Et ce qu’on voit de moi et ce que je vis ne matchent pas forcément…
Quant au sport adapté, en faire n’est pas vraiment un accomplissement, c’est plus une chance. J’ai la chance d’avoir ça dans le sang, d’avoir des handicaps qui me permettent d’en pratiquer, de vivre dans un milieu qui m’a permis d’avoir le matériel pour, etc. Je suis fière de ce que j’ai accomplis sportivement, de mon niveau et de mon titre mondial. Mais ça, ça n’est pas différente de n’importe quel athlète handi ou non.
Quels sont tes projets liés au WCMX ? Tes prochains tricks ?
En 2023, j’aimerais garder mon titre de championne du monde. Niveau tricks, clairement le Hand Plant m’échappe depuis bien trop longtemps !!
Que peut-on te souhaiter ?
C’est très cliché, mais « être heureuse » me semble un bon début.
Un mot sur l’association Pratikable qui gère avec brio le handisport urbain en France ?
Du peu que je connais Pratikable, ils font un job au top. Mettre sur pied du handisport, c’est bien plus compliqué que ce que l’on pense, surtout par rapport aux coûts des équipements. Ce que Pratikable a réussi à créer en quelques années est donc vraiment impressionnant. J’espère que le WCMX va continuer à s’installer en France et ça sera grâce à Pratikable !
Un message ou un coup de gueule à passer ?
Si vous ne connaissez pas le terme validisme, il est temps de vous informer.
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