Entretien avec Cassandre Lemoine

Le longboard dancing est un dérivé du skateboard dont le but est de faire des pas de danse sur sa planche, tout en réalisant des figures parfois plus aériennes. Cassandre Lemoine est l’une des meilleures Européennes pour cette discipline de la planche à roulettes avec de nombreux titres à son actif (vice championne de France). Instagrameuse, influenceuse, mannequin et globe-trotteuse, la longboardeuse connait bien son affaire et sait nous en parler avec passion. Voici son histoire :

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Cassandre, j’ai 22 ans, je vis sur Paris et je fais du longboard dancing freestyle depuis 5 ans. Je suis passionnée de sport en général, j’étais en STAPS puis j’ai passé un diplôme de nutrition/diététique. Mon objectif était initialement de devenir coach sportif mais j’ai un peu mis cela de côté au fil des années pour me consacrer au skate. Je souhaite néanmoins reprendre mes études dans un ou deux ans, afin d’aboutir à ce métier-là car c’est ce qui me tient à cœur !  J’apprécie également beaucoup la photo et les voyages.

Comment as-tu découvert le longboard et pourquoi ce sport ?
Il y a sept ans, j’ai commencé à faire du surf, j’ai tout de suite adoré ça. Lorsque je suis revenue sur Paris, je me suis dit qu’il fallait que je trouve quelque chose de ressemblant, que je pourrais pratiquer tout au long de l’année. Mon premier copain avait un cruiser, j’ai essayé et je me suis tout de suite sentie à l’aise, mais j’ai trouvé ça trop petit !  En première, l’une de mes camarades de classe possédait un longboard. J’ai trouvé ça vraiment chouette et j’en ai acheté un aussi. On a commencé à rider ensemble puis on a créé un petit « crew » de trois nanas… J’ai cependant tout de suite senti que je voulais faire davantage que de simples balades. J’ai fait beaucoup de descente, c’est ce qui m’a attirée en premier.  J’ai un peu commencé grâce aux autres, finalement.

Quelles sont les qualités pour être une bonne longboardeuse ?
Il ne faut pas avoir peur de se lancer, ni de tomber, c’est un peu pareil pour tous les sports de glisse. Le longboard n’est pas très difficile en soi, un minimum d’équilibre est cependant requis. Certaines personnes ne vont absolument pas tenir sur un longboard car ils n’ont pas l’habitude de travailler leur équilibre. Quand on a une nature sportive, c’est tout de suite beaucoup plus simple.  En dehors de l’équilibre et du fait de ne pas avoir peur, aucun pré-requis particulier n’est demandé.

Le longboard dancing est un sport artistique. Quelle place apportes-tu à la créativité dans ton run ?
Je n’ai jamais fait de danse mais j’ai toujours eu une vision artistique, j’aime travailler et créer avec mon corps… Je ride toujours avec de la musique et je crée automatiquement des enchaînements, sans avoir besoin de réfléchir. Il y a deux-trois combos qui me sont propres, j’aime beaucoup allier freestyle et dancing ! Je n’arrive pas du tout à me contenter uniquement de danser, ni de faire uniquement des tricks. J’ai besoin de mélanger les deux pour que cela me ressemble.  C’est un processus assez naturel, finalement : si j’ai la bonne musique dans les oreilles, je peux tester et créer des choses assez incroyables !  Je ne suis pas le genre de fille à regarder énormément de vidéos. Certains matins, je me lève et je me dis : « tiens, aujourd’hui j’ai envie de créer de nouvelles choses », tout simplement !

Il y a de plus en plus de filles qui sont séduites par le longboard, comment expliques-tu cela ?
Je le ressens effectivement, beaucoup de filles sont attirées par le côté cool du longboard, et par le fait qu’il est un très bon outil de déplacement. De nombreuses jeunes femmes veulent en outre se mettre au longboard dancing, un sport encore très nouveau qui est en plein essor. Grâce aux vidéos relayées sur Internet, ou même aux publicités désormais, les filles réalisent que notre discipline est vraiment accessible. Aujourd’hui, on essaie de rendre le longboard accessible à tous, et de montrer qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait cinq ans de skateboard pour tenir sur une planche… En deux heures, on peut maîtriser les pas de base ! Les tricks et le style, c’est autre chose mais le dancing reste à la portée de beaucoup de monde.

Nous avons lu que tu étais une miraculée. Peux-tu nous raconter ton histoire et ton accident ? 
Je commençais juste à me déplacer sur un longboard, avec des premiers pas de dancing, et à y prendre goût. En été 2014, je suis partie en vacances à Biscarrosse avec mes parents et ma meilleure amie. Le dernier jour, les conditions étaient exécrables pour le surf, alors que j’avais déjà une semaine de ride dans les pattes. J’ai voulu prendre une dernière vague pour rejoindre le sable, mais j’étais dans les shorebreaks, ce que je n’avais pas vu du fait des conditions. Je me suis levée, la vague est partie beaucoup trop vite sans que j’ai le temps de me mettre sur les jambes, puis j’ai glissé et ma tête a cogné dans le sable, mes jambes passant devant. J’ai réussi à sortir de l’eau sans trop savoir comment, puis je me suis retrouvée sur le sable . Sans pouvoir bouger. En-dessous des côtes, je ne sentais plus rien du tout…
Les pompiers et le SAMU sont arrivés mais ils ont dû attendre deux heures pour me transporter car j’avais trop mal, je hurlais dés que le brancard était soulevé ne serait-ce que d’un millimètre ! La décision a été prise de m’emmener à l’hôpital de Bordeaux. Dans l’ambulance, les premiers diagnostics sont tombés : une médecin m’a dit que j’avais les vertèbres cassées, une autre m’a expliqué que c’était selon elle beaucoup plus grave que ça, et que je risquais de ne plus remarcher…  Les premières radios ont montré que j’avais une fracture dans le bas du dos, au niveau du rachis lombaire, et que j’avais la moelle épinière touchée.  Je suis rentré à Paris afin d’aller dans un hôpital soignant les grands accidentés de la route, et le médecin m’a effectivement dit que j’étais une miraculée, j’avais simplement un pincement de la moelle épinière. J’ai fait trois ans de rééducation, mais au bout d’un an je remarchais plus ou moins bien.  Le Noël suivant, j’ai demandé un longboard, mes parents n’étaient pas très chauds mais ils m’ont offert la fameuse board dont je rêvais… et j’ai repris le longboard !

As-tu encore des séquelles ou des appréhensions ?
Je n’ai pas du tout d’appréhensions, sauf en surf. J’ai cependant resurfé dés que je le pouvais, j’ai fait une crise de panique dés que je suis rentrée dans l’eau mais les choses se sont mieux passées à ma seconde tentative. J’ai encore des douleurs quand je me lève ou quand je me couche, mais je fais beaucoup de Yoga, d’étirements et d’assouplissements. Le Yoga m’aide par ailleurs beaucoup en termes de travail de l’équilibre, de renforcement musculaire et de proprioception, et m’a aidée à me canaliser. Cela m’est très utile durant mes sessions !

Est-ce plus difficile pour une fille de vivre de sa passion et trouver des sponsors, à tes yeux ?
A mes yeux, ce n’est pas si compliqué. À titre personnel tout s’est pour moi toujours passé sur Instagram ! Des marques ont commencé à s’abonner à mon compte, à aimer des photos, puis à m’envoyer un message. Cela s’est toujours fait de fil en aiguille, via ce réseau social. Je n’arrive pas du tout à démarcher ou à essayer de vendre mon image. Je n’ai donc jamais contacté une marque, même si certaines me faisaient rêver…
A mes yeux, c’est peut-être même plus simple de gagner sa vie en tant que femme, dans le monde du longboard. Ce sport est en plein essor et est mis en avant par le biais des publicités, notamment, ce qui concerne généralement davantage les rideuses. C’est très bien pour nous car cela permet de montrer qu’une femme peut pratiquer un sport de glisse tel que celui-ci !  En tant que femme, lorsque tu fais un sport très masculin comme le longboard, tu as de très fortes valeurs, qu’un garçon ne revendiquera pas forcément.   Si l’on doit choisir entre une fille et un garçon pour représenter le longboard dans une publicité, je pense sincèrement que ce sera la fille qui sera désignée. J’espère bien sûr que ça ne sera pas pour des critères purement esthétiques ! On est sur le même piédestal avec les hommes.  Je suis dans deux agences de publicités et j’ai fait six publicités jusqu’à présent. J’étais loin d’imaginer être associée un jour à de tels projets… Sur un plan personnel, c’est très intéressant et cela permet de montrer des images de longboard à un public beaucoup plus large.

Un mot concernant tes trips ? 
Je suis partie en Chine pendant une semaine pour une grosse compétition. Je me également rendue au Brésil pour un contest, j’ai au final passé près de trois semaines avec les riders locaux. Je suis en outre partie à Johannesburg.  Je voyage également beaucoup de mon côté, je suis notamment partie au Japon. Je transportais tous les jours un sac de 23kg, et j’avais aussi un petit cruiser.

Combien de longboardeuses vivent de leur passion ?
Il n’y en a aucune qui vit à 100% du longboard, cela vaut aussi pour les garçons. Un apport financier conséquent peut provenir des publicités, des sponsors, mais tout longboardeur a son travail à coté. A l’heure actuelle ce n’est pas possible de vivre de ce sport.

Que penses-tu de l’égalité de prize money entre hommes et femmes, décrétée par la World Surf League et le Freeride World Tour ?
Dans les compétitions de longboard, il rare d’avoir du prize money, nous recevons juste des goodies.  Pour les championnats du monde 2019 à Eindhoven, il y avait un prize money, mais la rideuse qui est arrivée deuxième est repartie avec 50 euros… L’un de mes sponsors m’avait donné un chèque cadeau de 350 euros, je l’ai offert à cette rideuse, elle était vraiment contente !  Je suis par contre heureuse de voir que les choses progressent du côté de la WSL ou du FWT, et que les filles sont mises sur le même pied d’égalité que les garçons. Nous réalisons le même type de prestations que les garçons, on se donne autant, on s’entraîne autant pour atteindre le haut niveau… Même si je ne suis pas directement concernée, je trouve que c’est une belle avancée, il était temps !

Concernant les compétitions, t’entraînes-tu pour avoir un run solide ou improvises-tu ?
Je n’ai pas du tout de run de prévu, même s’il y a toujours 2-3 combos qui sont dans mes favoris et que j’espère rentrer. En dehors de cela, je me laisse un peu porter, je pars du principe que ce qui sort instinctivement va forcément passer, car je ne me mets pas la pression dessus ! J’ai vraiment du mal à planifier. Je tiens à retrouver, dans mes compétitions, cette liberté véhiculée par le longboard, je suis guidée par le plaisir !

Ton point de vue sur l’entrée du skate aux Jeux Olympiques ?
Je suis partagée, les X Games vont perdre un peu de leur charme… A mes yeux, c’était LA compétition à suivre. Le fait de programmer le skate aux Jeux Olympiques ne va t-il pas dénaturer tout ce qui avait été mis en place à côté ?
Le skate est un sport relativement libre, tu n’es pas dans une équipe, ni suivi par ton entraîneur quatre fois par semaine… C’est vraiment toi qui te gères, or rajouter tout ce côté structuré n’est peut-être pas forcément bon pour ce type de sport. Je suis du même avis pour le surf, la WSL faisait à mes yeux parfaitement l’affaire, il n’y avait pas besoin d’avoir le surf aux Jeux.
Cela peut toutefois leur apporter une autre visibilité, je suis donc un peu partagée.  Personnellement, je ne me vois pas du tout aux Jeux Olympiques, ce n’est pas le genre de challenge qui me donnerait envie… je n’y ai même jamais songé (rires) !

As-tu des idoles ?
Dans mon sport, Abou Seck, je suis une grande fan de son style, c’est la personne que j’admire le plus dans le milieu du longboard.  Sinon, mon athlète préférée est Bethany Hamilton, c’est mon modèle. Elle montre que peu importe ce qu’on a vécu, si on a envie de réaliser quelque chose on peut y parvenir. J’ai vu 15 fois son film « Unstoppable« , je le connais par cœur, je suis tout ce qu’elle fait ! J’admire vraiment beaucoup son parcours, c’est une leçon de vie. Quand tu vois cette nana à l’oeuvre, tu as envie de te dire : « reprends ton skate » même lorsque tu as mal au genou !

Quels conseils donnerais-tu à une jeune longboardeuse ?
Le longboard est tellement accessible qu’il faut simplement ne pas abandonner à la première chute. Tout le monde peut y arriver, cela demande juste un minimum de motivation. Il faut en outre ne pas avoir peur du regard des autres, beaucoup de filles n’osent pas monter sur une planche de peur qu’on les critique ou qu’on se moque d’elles. Au lycée, j’y ai eu droit, mais qu’est ce qu’on s’en fiche ! Le but est simplement d’être heureuses dans ce qu’on fait. Si le longboard vous fait vibrer, alors continuez…

As-tu d’autres passions ?
En dehors de ma passion pour le longboard, je fais beaucoup de course à pied et de slackline. J’adore me balader en forêt avec mon appareil photo, et chiller avec mon copain ! J’adore être dehors et être active.

Quels sont tes projets ?
Je n’ai pas de plan bien défini bien tête, je ne sais pas où j’en serai dans 5 ans, mais je compte bien continuer à faire du skate et reprendre en parallèle mes études de coaching. Je veux continuer à m’amuser, à voyager en à profiter…

Des personnes à remercier ?
La Dock Session, nous sommes une grande famille. Je remercie également tous les gens qui me suivent, qui aiment ce que je fais et qui m’encouragent !