Entretien avec Anatole Rahain

Anatole est un jeune rider normand qui fait incontestablement partie de la relève en France en BMX Flat et c’est aussi lui qui a repris les rennes de l’Astrolabe, l’un des meilleurs contests français. Pour une fois, Il m’a paru important de donner la parole à la nouvelle génération, celle qui n’a pas connu les  jantes à batons, Dennis Mc Coy ou Eddy Fiola et encore moins les tricks comme Cherry Picker ou Vanderoll. Anatole Rahain fait aujourd’hui partie du TOP 5 français et il nous donne son avis sur la situation actuelle et sa vision des choses concernant l’évolution du BMX dans notre beau pays. Un avis éclairé et intéressant avec l’un des riders les plus positifs et humbles que j’ai pu rencontrer.

Une petite présentation ?
Je m’appelle Anatole Rahain, je viens d’avoir 22 ans ! Pour le moment j’habite en Normandie mais je vais surement bouger bientôt. Je suis encore étudiant, je fais une licence en supply chain en alternance c’est pas mal ! Sinon je roule en flat depuis 9 ans et je suis président de l’association de BMX de Condé, là où il y a le plus de riders flat en Normandie

Questions basiques, tu roules depuis combien de temps et comment es-tu arrivé dans ce sport ?
J’ai commencé à rouler à l’âge de 13 ans, c’est Yannick Chauvel qui m’a initié (c’est mon oncle). Je faisais du skate à l’époque et un jour Yannick a débarqué avec son vélo au skatepark où je m’entrainais. Il nous a fait essayer avec des potes et on a bien aimé. Il nous avait appris barspin, trop bon souvenir, les sensations d’équilibre et tout c’était trop bien ! Yannick venait de revenir dans la région et venait de remonter l’association de BMX qui était en standby depuis les années 90. Il bossait sur le premier Astrolabe. La semaine juste avant le contest il m’a motivé à participer au contest sauf que je ne roulais pas encore, juste à la cool quand je le voyais. Mes potes skateurs m’ont boosté et Yannick aussi, donc la semaine juste avant le contest Yannick m’a prêté son bike pendant deux grosses après-midis pour m’apprendre les tricks de base. J’ai fait le contest en amateur et j’ai fini 1er aux qualifs et 2ème en finale. La semaine après le contest mes parents m’ont acheté mon premier bike et c’était parti ! On roulait souvent ensemble avec Yannick et l’association a pris de l’ampleur donc on s’est mis à rouler à plusieurs, on était 3-4 à se tirer vers le haut, ce qui fait qu’on s’est mis à rouler de plus en plus.

Qu’est-ce qui t’as séduit dans la pratique du flatland ?
J’ai adoré l’équilibre qu’il y avait sur le vélo et les sensations étaient cools, rien à voir avec un vtt. Ne pas avoir de contraintes en termes de tricks et pouvoir s’entrainer tout seul quand on veut presque où on veut ça m’a beaucoup plu. Et avoir eu la chance d’avoir un gros contest dans ma ville où j’ai pu voir des gros pros dès le début ça a beaucoup joué je pense. Puis devoir s’acharner sur les tricks avant de les passer c’est un truc que j’ai toujours aimé. Continuer là où beaucoup abandonnent parce que « c’est trop dur », ça énerve la majorité des gens mais perso ça me fait kiffer ! Et rien que pour se déplacer en ville, un bmx, c’est ce qu’il y a de mieux.

Tu as repris le contest Astrolabe, tu peux nous parler de cet évent incontournable français ?
Yes, j’ai repris l’association il y a deux ans donc le contest aussi au passage. Comme je l’ai dis plus haut c’est Yannick qui a monté cet évènement, les riders qui y sont venus ont tout de suite accrochés. C’est un contest familial où l’ambiance est super bonne. En plus les deux-trois premières années, il y avait vraiment beaucoup de public, les gens ne connaissaient pas du tout ce sport et ça a aidé, ils étaient super chauds ! Du fait que ce soit un contest qui ait pris de l’ampleur avec le temps dans le monde du flat, la ville a bien suivi et a beaucoup aidé pour l’organisation. Malheureusement cette année, on n’a pu maintenir la date qu’on avait prévu pour la 10ème édition, c’est dommage car on avait vraiment prévu de marquer le coup des 10 ans… On ne sait pas encore si on va pouvoir décaler l’évènement sur cette année ou reporter sur 2021.

L’Astrolable est quasiment le seul vrai event français aujourd’hui (hors FISE), vois-tu une explication à cela ?
C’est vrai qu’en dehors de l’Astrolabe les contests français sont un peu morts. Il y a 3-4 ans il y avait des contests partout et d’un coup ça s’est essoufflé. Je pense que c’est dû au fait que les scènes se sont dissipées, donc pour monter un contest c’est tout de suite plus de travail tout seul. A Condé, on a la chance d’être une bonne équipe et d’avoir des bénévoles qui se donnent à fond. On a aussi la particularité d’organiser l’évènement dans une petite ville, je pense que ça aide car on s’entend bien avec la municipalité qui s’arrange toujours pour que l’organisation se passe bien. Sans ça, l’Astrolabe ne serait pas le contest d’aujourd’hui. Le Fise organise pas mal de contests flat et heureusement, mais je pense que du fait qu’une organisation comme ça organise des contests, ça n’incite pas les riders à organiser leurs propres évènements.

Les riders qui ont connu la naissance et l’évolution du BMX ont hurlé quand la fédération du cyclisme nous renommé « cyclisme urbain », et toi en tant que jeune rider, tu en penses-quoi ?
Question qui fâche ahah ! C’est vrai que l’appellation n’est pas ouf mais bon à part ça, il y a beaucoup de points positifs. Je n’ai pas connu ce qui s’est passé avec la fédération des années 90, donc je n’avais pas d’aprioris sur l’affiliation. Je comprends que certain s’offusquent mais pour l’instant je ne trouve pas ça négatif, ça donne de la visibilité à notre sport ce qui est une bonne chose. Notamment au Fise Montpellier l’année dernière, on a senti qu’on passait dans un autre niveau. Le fait d’officialiser des championnats du monde, ça offre de nouvelles opportunités aux pros donc tout ceux que ça intéresse se surpassent. Tant que rien n’est imposé aux riders qui roulent juste pour le plaisir, je ne vois pas de problème. A voir comment ça évolue.

Peux-tu nous parler du club de Condé sur Noireau, une véritable usine à champion ?
On est une vingtaine de riders inscrits au club cette année, on a récupéré plein de jeunes grâce aux démonstrations qu’on fait avec l’association, ça fait plaisir ! Il y en a quelques-uns de bien motivés parmi eux. En général s’ils persévèrent après leur première année de vélo, ils deviennent vraiment bons ! La ville nous fournit un gymnase une fois par semaine pendant 3h, ça fait des grosses sessions c’est top. Chacun roule comme il veut, c’est là qu’on voit les acharnés ahah !
Pour les plus jeunes qui débutent, ça fait des longues sessions. Donc on les laisse rouler comme ils le sentent en leur montrant les bases et ils apprennent entre eux sans qu’on impose quoi que ce soit. L’effet de groupe, c’est super important pour progresser et garder la motivation. Je pense que c’est pour ça qu’à Condé on a progressé assez rapidement.

Avec le seul shop français, un gros contest et la relève assurée de la discipline, la Normandie est-elle la nouvelle capitale du flat ?
On a plusieurs atouts mais il y a aussi Montpellier qui tourne bien, et ils sont aidés grâce à l’ampleur médiatique du Fise. Ce qui est sûr ce que ce sont les deux endroits les plus dynamiques en France niveau Flat.
Mais il y a aussi ton club à Paris qui donne des cours, celui de Fabien Stefan à Châteaulin en Bretagne qui était bien actif pendant un moment, et Maxime Luchetti avec Darwin à Bordeaux. Ça apporte des nouveaux riders, c’est important, sans ça le flat en France serait assez vieillissant. Sinon depuis quelques temps ça bouge bien sur Toulouse, il y a moyen que ça évolue pas mal là-bas aussi !

En dehors du BMX, tu fais quoi ? Tu as d’autres passions ?
En ce moment je travaille au service approvisionnent avec mon alternance ça me prend pas mal de temps. Dans mon temps libre je m’intéresse à tout, j’ai toujours envie d’essayer des nouvelles choses, pour moi il faut tout tester. En ce moment j’ai envie d’essayer le wakeboard, je ne sais pas pourquoi ça m’intrigue ! Les sensations doivent être top.
Pendant le confinement je me suis mis à la photo, ça faisait un moment que ça me plaisait donc c’était le moment ! Djou m’a aidé pour débuter vu qu’il se débrouille bien. On s’est organisé un weekend à Orléans la semaine dernière pour faire des photos et rouler, c’était cool, il m’a donné quelques tips et je me suis rendu compte que c’était comme le bmx : les possibilités sont infinies. A part ça, j’aime bouger un peu partout, découvrir des nouveaux endroits. Je n’aime pas rester au même endroit longtemps je me lasse vite. Donc le Bmx c’est un bon compromis, partir en trip pour faire des contests ou aller voir des riders un peu partout c’est le bon plan.

As-tu comme ambition de devenir un vrai pro ? C’est à dire de vivre de ta passion comme Matthias Dandois ?
Franchement si un jour se présente l’occasion d’en vivre je signe direct. Pour l’instant je roule et je saisi toutes les opportunités qui se présentent. Je ne roule pas avec cette optique-là en tête car je veux que ça reste un plaisir avant tout, mais je pense que comme tout rider, si demain on me propose de vivre de ma passion, c’est oui sans hésiter.

Tu es tout récent dans notre sport, quel regard portes-tu sur l’évolution du BMX Flat depuis les années 80 à nos jours ?
De ce que j’ai pu voir sur des vidéos je trouve que le flat a parcouru beaucoup de route ! Les styles ont beaucoup évolué, que ce soient les vélos ou les tricks ça n’a plus rien à voir. C’est intéressant à regarder parce qu’il y a plein d’idées à en retirer

Et comment vois-tu les choses en France pour l’avenir concernant les events, les médias ou les tricks ?
En termes d’événement ce n’est pas facile à dire car ça change rapidement, il y a encore 2-3 ans il y avait énormément de contests en France mais l’année dernière à part le Fise, il n’y a pas eu grand-chose. J’espère que ça va se redynamiser car c’est toujours cool de se retrouver entre potes sur un contest ou une Jam.
Pour ce qui est des médias je trouve que ça manque. Tout le monde fait son truc dans son coin sur les réseaux sociaux et je trouve ça dommage. Kevin Meyer et Raph Chiquet se démarquent sur Youtube, mais à part ça, tout se passe sur Instagram. Les interviews comme tu fais, je trouve ça bien car ça permet d’en apprendre individuellement sur chaque rider, c’est le format qui manquait en France selon moi, ça serait top que ça continue !
Pour ce qui est des tricks on a un panel bien varié en France avec beaucoup de niveau ! Mais pour l’évolution c’est imprévisible, il y a eu la passe flat & street, maintenant je verrai bien un engouement sur les tricks sur les pédales, ça reste encore à explorer. Et aussi un retour sur des tricks pur flat assez techniques mais avec un esthétique revu, ce serait top !

Tu n’as pas connu les tricks en pogo ou statiques ni même les vélos avec freins. Comment vois-tu les riders old school et les tricks d’origine ?
J’ai eu des freins pendant 2 ans, j’ai même fait un peu de pogos pour rigoler mais ce n’est pas trop mon truc. Par contre en tricks de show ça passe bien ! Je trouve que les riders oldschool se cachent en France on ne les voit pas souvent c’est dommage car c’est toujours cool de voir ce genre de riding. J’ai beaucoup de respect pour les riders old school, c’est en parti grâce à eux que le sport s’est développé et ne s’est pas arrêté. Puis on sera forcément old school pour la génération d’après et ainsi de suite.

Sais-tu que quasiment toutes les figures que tu fais aujourd’hui ont été inventées par Kevin Jones (et Jesse Puente) dans les années 90 ?
Oui quand même ahah, ils avaient un niveau énorme ! Mais c’est vrai qu’ils sont peu connus de la nouvelle génération par contre. Surement parce qu’on ne trouve pas énormément de vidéos d’eux sur internet. Dommage parce que c’est agréable de retomber sur leurs vidéos, ça m’impressionne toujours de voir ce qu’ils faisaient avec leur gros bike. La première vidéo de flat qui m’a marqué c’est les 60 Whiplash de Kevin Jones.

L’originalité est très importante dans notre discipline mais à part une poignée de riders dans le monde, tous les autres font les mêmes tricks aujourd’hui. Le fait de suivre la tendance du street, une discipline qui ne privilégie pas la création, aurait tué l’âme du flat ou ce serait autre chose pour toi ?
Je ne trouve pas que le street ne privilégie pas la création. Même si la part de créativité en street n’est pas aussi importante que celle du flat, je trouve que cette discipline évolue de manière créative. Inclure du street dans le flat développe encore plus notre discipline. Cette voie ne plaît pas à tout le monde, moi je trouve qu’elle ouvre beaucoup de portes. Mixé avec du flat, je trouve qu’esthétiquement le street rajoute quelque chose. On a besoin de nouveautés sinon on finirait par tous faire les mêmes tricks comme tu dis, le passage brakeless a permis une évolution, le passage street/flat aussi. L’évolution c’est ce qui permet de maintenir le flat attrayant ! Ça créé des variétés au sein d’une même discipline, ça élargie le panel de tricks encore plus et distingue les riders.

Je suis impressionné et très fier du parcours d’Alex Jumelin que je suis depuis ses 11 ans et ça me fait vraiment plaisir de le voir au top encore aujourd’hui après trente années au sommet mais pourquoi les normands (et un paquet de riders dans le monde) calquent leur riding sur lui exclusivement ? Yannick Chauvel, le gourou du club de Condé est un rider très original pourtant non ?
Alex est impressionnant, c’est une machine. Il est super influent. Pour ma part je ne me suis jamais dit « tiens je vais copier Alex Jumelin ». J’ai toujours été attiré par les tricks techniques, en 3 ans de vélo j’avais appris tous les whiplash (one hand, X Hand, X foot…) et pareil pour les Hang 5. L’été 2014, Alex a débarqué en vacances en Normandie alors qu’il habitait encore au USA. Il est venu faire une session avec nous, c’est l’époque où il commençait à vraiment pousser les Nose à fond. C’est ce qui a dû inspirer les riders Normands à suivre son style surtout qu’on était super jeunes donc influençables. Ce jour-là il avait surmotivé tout le monde pour les semaines à venir c’était ouf. Même si on sent son influence, je trouve tout de même que chacun ajoute sa touche sans copier à 100% Alex et heureusement.
Yannick est super original c’est sûr, mais ses tricks originaux reste axés sur des steam roller, ce tricks est fait et refait dans tous les sens. Tandis que sur les nose et les tricks sur les pédales il reste un potentiel énorme, et c’est jugé plus technique. C’est peut-être pour ça, je ne suis pas dans la tête des Normands.

As-tu des idoles sinon ?
Idole c’est fort comme mot, mais il y a des riders que j’admire beaucoup, il y en a plein mais si je devais en citer 5 je dirais :
– Alex Jumelin parce qu’il arrive à rester au top avec les années, c’est le boss niveau technique et innovation.
– Terry Adams parce que c’est un acharné, sa vidéo ou il fait des time machine sous un torrent d’eau m’a toujours faite halluciner. Je le trouve super motivant.
– Matthieu Bonnecuelle parce que je trouve qu’il sort du lot en alliant originalité et technique tout en gardant un coté artistique et esthétique.
– Yu Katagiri parce qu’il semble ne pas avoir de limite, c’est l’ovni du moment pour moi avec Kio Hayakawa.
– Matthias Dandois parce qu’il est plein de bonne humeur et super motivant aussi.

Si le flat devient olympique en 2024 à Paris, tu aimerais représenter ton pays et participer ?
Si le flat devient Olympique ça serait incroyable d’y participer. C’est surement l’évènement sportif le plus impressionnant auquel participer, donc rien que pour l’expérience oui carrément ! Puis de mon point de vue, le flat n’est pas assez reconnu par rapport au temps que ça demande pour atteindre un bon niveau. Ça permettra de mettre en avant ce sport encore trop méconnu du grand public.

As-tu des projets à plus ou moins long terme ?
A court terme, ça va être finir mes études et rouler à fond le plus possible. Cet été, on va s’organiser des trips bmx avec les copains, apprendre des nouveaux tricks faire des photos… Et filmer un édit, ça fait longtemps !
Avec Joris on avait prévu de faire les Worlds cette année mais ça n’a pas pu se faire avec le Corona, les étapes d’Hiroshima et Montpellier ont été annulées. Donc c’est partie remise à l’année prochaine, ça va me laisser le temps de progresser encore plus et de voir ce que je vaux sur le circuit mondial, hâte d’y être !
Il y a aussi Master of Creativity cet été, le contest organisé par Martti Kuoppa basé sur la créativité. L’année dernière j’ai fait 12ème en pro donc je vais essayer de faire mieux cette année.
Sinon je compte me mettre davantage aux shows, j’aime bien l’ambiance. Rouler devant un public ça aide niveau aisance, c’est super important en contest la gestion du stress. Tu peux être préparé autant que tu veux, si tu ne gère pas la pression, tu peux complètement te rater en run.

Un message pour les riders ? 
J’espère que vous allez tous bien et qu’on va se revoir bientôt sur un contest ou une jam, d’ici la roulez bien, la bise !

Merci à toi et encore bravo au tonton Yannick et toute l’équipe de Condé sur Noireau. 

Photos : © Djou Nien et Lazy Little Fish