Surnommée « Nisha », Shani Bru monte pour la première fois sur un skate à l’âge de 13 ans et progresse très rapidement. À 15 ans, elle décroche son premier titre de championne de France et à 19 ans Shani monte sur la seconde place du podium lors des championnats d’Europe de skate en Suède. Voici son histoire et son avis sur la situation, le skate aux JO, la place des femmes dans sa passion et tout un tas de choses sur sa vie.
Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce sport marginal ?
C’est simple, c’est la liberté. Le fait de pouvoir skater où on veut et quand on veut et faire les tricks qu’on veut. La découverte de ce sport coïncidait avec ce moment de l’adolescence où je trainais avec mes copains au skatepark et qu’on pouvait faire ce qu’on voulait. Il y avait une bonne ambiance sur le spot et ça changeait des moments où on était en cours. Quand je faisais de la gym, on me disait toujours ce que je devais faire pour apprendre quelque chose donc là j’ai découvert cette liberté d’expression qui m’a vraiment plu.
Comment tes parents ont pris la nouvelle quand tu leur as dis que tu voulais être skateuse pro ?
Je leur ai jamais dit que je voulais être pro et en faire mon métier. J’ai juste dit que je laissais tomber la gym car j’étais passionnée par le skate et que j’avais envie d’aller au bout des choses et de progresser. Et aussi voir toutes les opportunités qui pouvaient s’offrir à moi. Ensuite j’ai évolué et j’ai su saisir ces opportunités et mes parents m’ont toujours soutenue. Ils étaient rassurés quand je leur ai dit que j’arrêtais pas la gym comme ça, juste pour aller au skatepark. J’avais une passion et j’avais envie que ça aboutisse sur des choses sympa. Les compétitions m’ont rapidement permis de progresser et là, mes parents ont vraiment senti que j’étais motivée.
Le report des JO de Tokyo, c’est une bonne chose pour toi ? T’étais prête si ça avait eu lieu en Août 2020 ?
Je skate au jour le jour donc je ne sais pas trop ce que ça donnera le jour J mais de toute façon, on n’avait pas terminé les qualifications. Impossible de savoir si on allait participer ou pas. Le classement du skate n’est pas encore fixé pour le moment. Je me concentre sur les prochaines échéances à venir avant de penser aux JO. Ça reste une bonne motivation mais je ne me projette pas aussi loin.
Beaucoup de riders ne sont pas favorables à l’arrivée du skate aux JO, et toi ?
Ma priorité reste ma passion du skate et j’ai beaucoup de mal à laisser des gens s’immiscer dedans. Je veux qu’il y ait du plaisir avant tout donc je garde de la distance par rapport à certaines choses qui ne seraient pas un plaisir pour moi. La limite est là pour moi, s’il n’y a pas de plaisir, je n’y vois pas d’intérêt. Je ne me force pas donc si ça ne me plait pas, je n’y vais pas. Je fais plein d’autres choses à côté de la compétition au quotidien. Des shootings pour mes sponsors par exemple, des moments où je prends beaucoup de plaisir. Donc les Jeux Olympiques, c’est important et c’est bien d’avoir cette opportunité mais d’un autre côté, je m’en sers surtout pour faire évoluer ma pratique et peut-être vivre des bons moments. Pour moi, l’objectif n’est pas d’être une athlète olympique mais juste faire du skate. Ceux qui ont un avis défavorable des JO sont des personnes qui ne se sentent pas concernées par ça et je les comprends bien. A la limite, c’est une opportunité pour voyager et voir des amis et peut-être visiter des skateparks qu’on a pas en France sinon ça n’a aucun intérêt. Je comprends aussi que cela puisse faire peur car des personnes malveillantes pourraient avoir envie de s’approprier les choses. Et cela pourrait même faire changer la mentalité de certains compétiteurs. Je suis aussi là pour essayer de garder cet esprit cool du skate et j’espère qu’on aura une bonne influence. Parce que ça se fera sans nous et ça pourrait être encore pire donc finalement, il faut en être juste pour ça. J’entends tout à fait les critiques qu’il peut y avoir car le skate et les pratiques urbaines sont des choses très personnelles. On s’est fait tout seul, en tout cas moi j’apprends mes figures toute seule. Personne ne me dira ce que je dois faire et ça, ça ne changera pas. Le but est de garder l’authenticité du skate.
Tu t’entraines combien d’heures pas jour ?
Avec le confinement et tout ce qui va avec, je peux m’entrainer une heure et demi, voire deux heures par jour grand max. Je reste pas longtemps au park car il n’y a personne avec qui discuter et c ‘est pas très motivant. Il y a certains jours où je me repose ou j’ai envie de faire autre chose mais je dois skater environ cinq fois par semaine.
Et quelle place occupe la compétition et le le run dans ton entrainement ?
Je m’entraine déjà à un run constant et consistant pour avoir beaucoup de tricks lors des compétitions et en dehors. Pour pouvoir les faire n’importe quand et n’importe où. L’objectif est que ça me serve tout le temps. En run improvisé ou lors de shooting avec des sponsors, quand je veux être sûre que ça va bien se passer. Ça me donne beaucoup de confiance en moi mais je ne m’entraine absolument pas en me disant que je dois être une skateuse de contest. Je ne pense pas que ce soit l’essence du skate d’avoir un bagage de 10 tricks et de ne faire que ça. Je préfère le coté original et j’ai encore envie d’explorer certaines choses que j’ai pas apprises.
Et justement, tu as des tricks ou mouvements perso ? Et la créativité est-elle importante pour toi ?
Oui, c’est super important mais la créativité est surtout dans la tête parce que ça reste assez dur de réaliser de choses qu’on aimerait faire et qu’on a dans notre esprit. Et c’est aussi ce qui nous donne envie de nous animer et nous dépasser. Tout existe déjà donc il n’y a pas grand chose que je peux inventer car tout a déjà été fait. Cette petite touche d’originalité qu’on a dans le coin de notre tête, ça va nous guider et nous donner envie de faire certains tricks. Ça représente aussi notre personnalité et notre façon de skater.
Il t’arrives de faire des contests contre des hommes aussi ?
Oui j’en ai déjà fait. Et peu importe car je n’affronte personne en fin de compte. On ne peut pas prévoir ce que vont faire les autres donc on ne peut pas se projeter. Il faut juste faire son maximum pour réussir ce qu’on a à faire et c’est tout. Très souvent, la compétition est envers soi-même pour vaincre la pression et se concentrer. C’est plus important d’être centré sur soi-même donc peu m’importe contre qui je suis.
Tu fais que du park ou tu fais un peu de street aussi ?
Je fais un peu de tout et surtout ce qui me fait plaisir. Je fais beaucoup de rampe car je préfère ces sensations là et j’aime pas passer mes après-midi à apprendre des tricks en street. Je prend plutôt du plaisir dans la rampe et les bowls. Et si j’ai une idée d’un trick qui va me plaire en street, alors je vais essayer. J’ai pas envie d’apprendre toutes les bases du street qui sont obligatoires donc je me contente de la rampe.
Tu as essayé d’autres disciplines du skate (dh, dancing…) ?
Oui au début, je faisais un peu de tout et surtout du lonboard pour me déplacer. Après, je suis un peu une tête brûlée donc j’ai fait pas mal de downhill. Je me suis presque toujours fait peur d’ailleurs, parce que j’avais envie d’avoir des sensations. Mais finalement c’était pas mon truc. Je reste sur le skate et plus je fais des tricks difficiles, plus j’ai la sensation de devoir maitriser. Ça m’oblige à me concentrer dessus et du coup, ça me repousse un peu des autres pratiques extrêmes que j’avais envie de faire au début.
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Quelles qualités mentales et physiques faut-il pour pratiquer le skate ?
Surtout la determination. Il faut être capable d’encaisser pas mal d’erreurs et de chutes et pouvoir recommencer. Avant d’avoir des qualités physiques, il faut cette dose de courage et peu d’appréhension. On ne sait jamais ce qui va se passer quand on apprend un trick, faut oser se lancer et après il faut le répéter puis il faut aussi savoir se remettre en question et réfléchir à ce qu’on fait. Mais surtout, il faut être déterminé. Peu importe ta façon de faire pour apprendre un trick, il faut juste être motivé. Et c’est pour ça que la base de tout, c’est la passion.
As-tu des peurs ou des barrières quand tu vas rider aujourd’hui ?
Non, quand je pars rider, c’est pour le plaisir. Je suis toujours contente d’aller rider, sans aucun souci. Et on a toujours une appréhension quand on travaille un nouveau trick et qu’on le teste pour la première fois. Et l’objectif est de se familiariser avec ce trick un peu plus pour apprendre à mieux l’exécuter jusqu’au jour où on le met et voilà. Il y a forcément des jours où on est moins bien que d’habitude et qu’on a peur de se blesser. Ce n’est pas une peur mais on fait un peu plus attention, c’est pour ça que j’essaye de voir si je suis en forme à chaque fois ou pas. Pour ne pas faire d’erreur qui pourrait me blesser bêtement.
Ton meilleur souvenir en skate ?
J’en ai beaucoup, c’est pas facile de choisir. Mais je dirais la Suède en 2017, c’était ma première compétition internationale. J’ai fini deuxième en continentale et je ne m’y attendais pas du tout. C’était déjà un rêve de pouvoir skater un park comme ça avec des gros bowls et des filles d’autres pays et tout ça. J’avais pas d’attente particulière pour un podium donc j’étais surprise d’être bien classée et en plus ça a déclenché plein de choses qui m’ont permis d’en être là aujourd’hui comme les sponsors, l’équipe de France et tout ça. Un souvenir mémorable mais surtout j’ai bien senti que les choses avaient bougées à partir de ce moment-là.
As-tu d’autres passions en dehors du skate ?
Oui je fais de la moto. Et je fais aussi des études dans le sport, je suis en master pour être prof d’EPS donc je pratique un peu tous les sports. Ma famille est ultra sportive car ils font du triathlon donc je suis assez volontaire pour faire plein de hobbies. J’aime faire de tout mais ma priorité est toujours de faire du skate. J’ai pas beaucoup de journées de libre pour faire autre chose de toute façon.
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Qu’est-ce que tu voudrais qu’on sache de toi ? Quelle trace souhaite-tu laisser dans le skate ?
Qu’être une fille, ce n’est pas différent. Faire la différence entre les garçons et les filles mais uniquement avec la discrimination positive. C’est bien de faire des choses pour les filles mais ce qui serait encore mieux c’est qu’on ne se pose plus la question du genre quand tu fais du skate. Je suis contente d’être la première fille à faire la couverture de Sugar et j’ai envie de montrer à certaines filles que c’est possible justement. À partir du moment où tu ne cherches pas à faire la différence avec les garçons, il n’y a plus de différences. J’en ai marre qu’on me demande à chaque fois si c’était pas trop dur de s’intégrer dans un skatepark parce que je suis une fille. Si tu es passionnée, ce n’est pas du tout difficile de s’intégrer au milieu de gens qui aiment la même chose. On demanderait pas la même chose si c’était du badminton ! La seule différence qu’il devrait y avoir, c’est concernant le niveau, débutant, confirmé… mais pas concernant le sexe.
As-tu des idoles ou modèles en skate en en dehors ?
Oui j’en ai plein donc difficile de tout citer. Je dirais Lizzie Armanto et Ronnie Sandoval qui sont chez Vans mais il y en a beaucoup d’autres.
Tu te vois où dans 10 ans ? Prof de skate ?
Je ne me projette jamais trop mais mon objectif est de continuer à pratiquer ma passion d’une manière ou d’une autre. Donc oui, peut-être prof de skate ou coach de l’équipe de France.
Il t’arrives de faire des shows en skate ?
Oui je m’étais entrainée pour faire une démo avec Tony Hawk, j’étais allée chez lui à San Diego et il y avait Matt Hoffman en BMX aussi. Mais il n’y a pas beaucoup de shows en France. Et pour être honnête, je n’aurais pas beaucoup de temps car je voyage déjà toute l’année pour des compétitions en période normale (hors Covid quoi).
Un message pour celles qui hésiteraient encore à se mettre au skate ?
De ne rien lâcher, parce que c’est toujours difficile d’apprendre quelque chose de nouveau et avec un skate sous les pieds, on n’est pas toujours en zone de confort. Tu as juste l’impression que tu vas te casser la gueule tout le temps au début. Ça peut faire peur, mais si t’as vraiment envie d’en faire, il n’y a pas de raison que tu n’y arrives pas. Il faut persister, pas lâcher et s’il y a des gens à qui ça ne plait pas, dites leur d’aller voir ailleurs. Ne vous occupez pas de ce que peuvent penser les autres.
Parfait, merci à toi.