Interview : Marie Martinod et les Jeux Olympiques

Trois ans après notre dernier entretien, Marie Martinod répond à nouveau à nos questions et cela à quelques mois des prochains JO de Tokyo. La double médaillée olympique de ski freestyle revient sur ses inspirations et motivations, les moments forts de sa carrière, ses projets et ses envies. Après avoir eu l’intelligence de s’arrêter au top de sa carrière, cette femme forte, maman hors-pair et skieuse d’exception servira d’exemple pour les prochaines générations. Et puis elle nous parle aussi de l’Elysée et du président de la République…

Que t’inspirait la montagne quand tu étais petite ?
C’était mon terrain de jeu. Je pense que quand j’étais petite, j’imaginais qu’il n’y avait même pas d’endroits sans montagne sur la planète ! Pour moi, c’était une évidence, on pouvait pas faire sans. Je suis née à la montagne et l’été, je partais en vacances dans les Hautes-Alpes donc à la montagne aussi mais avec un lac. Mon grand-père était ultra fan de montagne, il a même ouvert des voies donc on y était tout le temps. Selon les saisons, c’était un coup du ski, un coup du ski-nautique ou alors on partait se balader pour chopper des champignons ou des jonquilles au printemps. Bref c’était incontournable quoi.

Avant de te mettre au ski freestyle, qu’elles étaient tes motivations ?
Il n’y a pas vraiment eu un jour où je me suis dit « allez j’y vais », c’était plutôt une continuité. Quand j’étais gamine, j’étais plus passionnée par la compète de ski, à faire des trucs marrants sur des ski plutôt qu’à la compétition contre les autres. Mais c’est venu petit à petit, c’est pas venu d’un coup.
Déjà il faut savoir que la Clusaz et la Plagne sont les deux grandes écoles pour le freestyle en France donc il y a une belle culture pour le freestyle sur ces stations là. Surtout que mes parents étaient amis avec les grands champions donc c’était naturel pour moi. Je les voyais comme des stars, c’étaient mes idoles et je voulais leur ressembler car ils étaient tous très gentils avec moi et ma famille.

Tu as essayé les autres disciplines (je suppose que oui) ?
J’ai jamais fait de ski alpin ni essayé la descente et j’ai jamais tourné autour d’un piquet. Quand tu commence en club, normalement t’es obligé la première année de faire un peu de tout et notamment du ski alpin mais moi, j’ai ne voulais pas. Je voulais juste faire du freestyle et faire des cabrioles ! J’ai dû faire un peu de ski de fond parce que dans mon collège, on était obligé et je gagnais les cross donc j’avais pas le choix.

Après toutes ces années de victoires et de podiums, tu retiens quoi de la compétition ?
J’ai connu plusieurs styles de compétitions et surtout les toutes premières compètes du ski freestyle avec beaucoup de fun et pas cet esprit national. Je ne me sentais pas française contre une américaine, une canadienne ou autre. J’étais juste du team Dynastar ou du team Oakley et je skiais avec des gens du team Salomon… Comme c’était pas fédéré, il n’y avait pas cet esprit de compétition. Ces compètes ponctuaient un hiver de ride et de voyage et n’avaient rien à voir avec aujourd’hui.
J’ai repris les compétitions quelques années plus tard et ça avait bien changé. L’optique était d’aller aux JO et là on était vraiment dans la compète. Pendant des années, je n’ai rien fait d’autre que m’entrainer et aller aux compétitions. Plus jamais de photoshoot et les partenaires n’étaient plus les mêmes car l’industrie du ski s’était bien pété la gueule. J’ai retrouvé des partenaires mais dans le monde de l’alimentaire et il fallait se sortir les doigts pour inventer une histoire et un lien avec eux et le monde du ski.
Donc deux expériences différentes de compètes, une jusqu’à mes 22 ans quand j’ai arrêté la première fois avec l’essence même du ski freestyle, où on regardait surtout qui était le plus stylé ! Un grand groupe d’ado qui se la coulaient douce. Et chez les filles dans la compétition, soit tu gagnais, soit tu n’existais pas. Ça c’est densifié plus tard et quand j’ai repris, c’était plus la même chose car quand tu faisais un podium, t’étais déjà bien contente.

Et parmi les moments forts de ta carrière, y en a t-il un que tu pourrais revivre éternellement ?
Oui il y en a plusieurs mais quand t’es plus en carrière, c’est difficile de se replonger dans ces moments là. Et tu te demande souvent à quel moment tu pourras revivre des moments aussi intenses un jour et ça peut être vite déprimant tu vois ! C’est vrai que j’ai vécu des moments incroyables, mais le plus incroyable doit être mon dernier run de pipe, le dernier de toute ma carrière. Et je me détacherais jamais de ce sentiment d’avoir été à la bonne place et au bon moment. Entourée de tous ces gens bienveillants que je ne remercierais jamais assez.

Et ça fait quoi d’être reçu à l’Elysée ?
La toute première fois, c’était assez dingue. Mon père était encore de ce monde et il avait passé toute sa vie à me dire que le ski n’était pas un métier. Il avait aussi un peu hâte que toutes ces conneries s’arrêtent parce qu’il craignait pour mon avenir alors le jour où je l’ai emmené à l’Elysée, qui représente un symbole de notre république, il y avait une autre reconnaissance de mon travail et de mon sport et je pense que c’est ce jour-là que son regard a changé. Jusqu’à ce que je mette le pied à l’Elysée, je me sentais un peu comme un imposteur, pas très légitime quoi. Donc rentrer à l’Elysée, être remerciée par la Nation et voir mon père serrer la main du président de la république, ça change un peu les choses. Une reconnaissance du sport plutôt agréable !

Tu as d’autres moments comme celui-ci qui te rend fière ?
Je suis surtout super fière d’avoir pu mener ma carrière professionnelle avec mon rôle de mère de famille. J’ai une gamine qui est en 5eme, équilibrée avec les deux yeux bien ouverts et les deux pieds bien sur terre. Et c’est vraiment cool parce que je ne me suis jamais empêchée de faire quelque chose. Je me suis épanouie dans mon sport en tant qu’athlète et dans ma vie de femme et jamais au détriment de ma fille. Et elle a pu grandir normalement sans jamais empiéter sur mes ambitions sportives. C’est cet équilibre là d’avoir réussi dans ma vie d’athlète et de maman qui me rend fière. Je n’ai aucun regret à ce niveau là.

Et ce rôle de partage, de transmission, ça t’inspire maintenant que tu es sortie de la compétition ?
Je donne beaucoup de mon temps au comité national olympique, dans les groupes de travail, pour parler de la place des athlètes et là où on peut oeuvrer pour faire changer les choses et les mentalités. Comparer les sujets, les traiter, être relayé par la presse et faire bouger les lignes. Et c’est assez agréable de pouvoir donner de son temps de cette façon là. Une transmission un peu moins directe que si j’apprenais à des gamines à sauter en big air ou dans un pipe mais j’ai l’impression de rendre un peu ce que le sport m’a donné.  Et ça servira aux générations futures.  On siège dans une commission de travail à Paris et on n’est pas liés à une politique fédérale. On traite de tous les sujets comme par exemple le traitement des athlètes inter-sexe à l’international ou encore diversité dans les instances, qui est absolument inexistante… On gratte et on soulève des problèmes puis on essaie de les faire prendre en considération. On parle de toutes les disciplines olympiques.

En toute objectivité, c’est quoi ton petit plus qui t’a permis de faire cette belle carrière ?
Il y en a plusieurs mais ce qui me vient là c’est déjà que j’ai eu le même coach de 9 à 35 ans et quand tu fais un sport d’engagement comme celui-là, la part de confiance en soi est très importante. Difficile à gérer toute seule et j’ai eu la chance d’avoir un gars (Greg Guenet NDLR) à mes côtés tout le long qui me disait « là tu peux le faire » et j’y allais les yeux fermés. C’est une partie de mon petit supplément d’âme si je puis dire, et puis il y a ce truc que j’ai depuis toute gamine de vouloir être la meilleure. De vouloir faire comme les garçons au départ et ça vient sûrement de mon éducation je pense. J’avais un papa qui avait du mal à dire qu’il était fier donc j’ai dû courir après une quête de reconnaissance en permanence.

Et aujourd’hui, quels sont tes ambitions et projets ?
C’est un peu compliqué. J’ai entamé ma reconversion il y a deux ans, et je l’avais surtout axée en tant que consultante sportive. Je travaille avec RMC et aussi la chaine L’Équipe et ça c’est super. Ça ne fait que grandir et on avait même mis au point un podcast l’année dernière donc ça commençait à devenir une reconversion réussie puis le Covid est passé par la et il y avait d’un coup, beaucoup moins de compétitions à commenter. RMC avec sa maison mère Altice est en plan social et donc beaucoup moins d’argent au final. Tous les projets qui étaient en train de se concrétiser ont pris un coup dans l’aile. Du coup, j’ai commencé une formation de préparateur mental.  J’ai su m’en servir et le mettre en place pour m’en sortir dans les grands rendez-vous de ma carrière. J’ai tenu la pression lors des deux Jeux Olympiques auxquels j’ai participé et c’est grâce à ça. J’ai mis du temps à l’identifier mais je crois que je suis capable de le transmettre aujourd’hui. J’ai trouvé cool de pouvoir proposer ce service mais avec un diplôme.

Un mot pour les athlètes qui vont attaquer les JO 2021 ?
Quelle que soit la discipline, tu vas aux jeux Olympiques pour deux raisons. Soit pour faire une médaille et là tu dois avoir de grosses ambitions et tu ne verras alors pas tout le folklore des Jeux. Oui parce que si tu te mets à le voir, tu deviens juste spectateur et tu ne participes plus. Ou alors tu te dis que ce n’est pas une fin en soi et que c’est déjà bien de participer et représenter ton pays et à ce moment là, tu dois bien ouvrir les yeux parce que les jeux, c’est gigantesque ! On ne peut pas se l’imaginer tant qu’on ne l’a pas vécu.

As-tu un message à faire passer aux filles qui souhaitent se mettre au ski freestyle ?
Oui, de bien s’entourer et de s’entourer de mecs aussi. Je veux pas être féministe parce que j’ai plus de mecs qui m’ont aidés que de filles féministes. La balle est plutôt dans le camps des garçons aujourd’hui. Donc pour une fille, tout comme un petit garçon, je conseillerai de croire en ses rêves, trouver la bonne structure et les bons potes. Et surtout être sûr que le matin, quand tu te lèves pour y aller, tu as toujours la motivation pour le faire. Et cette motivation n’est pas toujours liée au sport. Des sentiments de plaisir, d’intégration ou de compétences car le freestyle, les acrobaties, c’est vraiment quel que chose de particulier. Il n’y a jamais rien d’acquis. Le plus important est de leur dire que c’est pas parce qu’un truc ne passe plus, que ça ne va pas revenir. Et pareil, c’est pas parce qu’un jour, tu rentres tout et que t’es « on fire » que c’est acquis et que ça va rester. Il n’y a pas d’explication, c’est comme ça. Et c’est comme ça aussi pour les plus grands champions de n’importe quelle discipline avec de l’acrobatie. Faut pas se formaliser si ça ne marche plus, c’est pas très grave. Changez de figure et ça reviendra.

Des gens à remercier ?
Oui parce qu’on ne fait rien tout seul. Les gens qui me sont proches, ma fille bien sûr, qui me donne envie tous les matins de faire encore mieux. Le but est qu’on s’amuse et qu’on se fasse plaisir avant tout. Après je cite personne en particulier sinon faudra que je les cite tous et j’en ai quarante !

Un mot de la fin ?
La vie passe vite et si j’ai pu faire rêver les gens un moment donné c’est super et s’ils m’oublient, c’est vraiment pas grave.

Merci à toi

Photos : Lionel BONAVENTURE et Loic Venance / AFP
Entretien réalisé le 20 décembre 2020