Entretien avec Justine Dupont

Avant d’être la dompteuse de grosses vagues que tout le monde connait, Justine Dupont est surtout une waterwoman accomplie, au même titre que son homologue Kai Lenny et elle n’a pas à rougir devant l’Hawaiien. Jugez plutôt : la Canaulaise a été championne d’Europe de Stand Up Paddle (SUP) et longboard, et aime aller taquiner les grosses vagues comme à Belharra et Nazaré. Vice-championne du monde de longboard en 2007, à 15 ans, elle fut (entre autres) vice championne du monde en surf de grosses vagues en 2016 et championne du monde ISA Surf par équipe en 2017. En 2013, sa réputation explose lorsqu’elle surfe pour la première fois le spot de Belharra, au large de Saint Jean de Luz (Pays basque). Tractée par un jet ski, elle y surfera la plus grosse vague jamais prise par une femme. Elle a depuis battu à plusieurs reprises ce record… SUP, surf, longboard, grosses vagues, Justine Dupont est une rideuse hyper-polyvalente connue à l’international, avec un palmarès long comme… sa planche !
Interview réalisée en octobre 2020.

Quel était ton rapport avec les vagues quand tu étais petite ?
Je suis née à bordeaux, j’ai grandi à St Medard à Jalles et j’ai commencé à surfer à Lacanau.
J’aimais être dans l’eau, c’est sûr. Mon premier rapport à l’océan fut avec un skimboard, je courais avec ma planche, je la jetais et je glissais au bord de l’eau… J’avais environ 9 ans. J’aimais passer du temps dans l’océan, je voulais rester toute la journée dans l’eau. C’était synonyme de liberté, de partage avec la famille. A ce moment-là, je faisais de la compétition en voile, en natation, puis des petits cross en athlétisme.  Un club de surf est alors venu me voir, j’ai fini par prendre ma licence. Mon frère avait intégré le club de surf aussi.
Le club m’a inscrit à mes premières compétitions. Lors de la première compétition à 12 ans, j’avais peur des vagues, qui faisaient ma taille à l’époque (environ 1m20), mais en même temps j’aimais bien.  Je passais une série, je repartais dans l’eau mais j’avais peur car ça grossissait. 
J’ai fini par gagner la compétition, mais c’était vraiment un mélange de peur et d’envie. Ces sensations-là m’ont un peu suivie toute ma vie, pour les grosses vagues notamment, sur ce côté peur, être impressionnée et en même être attirée par ça.  
J’avais quand même plus peur à ce moment-là, et cette peur s’est transformée de plus en plus en envie. 
Au début j’étais d’ailleurs un peu énervée car mon frère n’avait pas forcément peur, et moi je n’aimais pas rester toute seule dans l’eau à la fin… 
Cela m’énervait de n’avoir pas cette autonomie, cette fierté de rester toute seule au large quand il y avait un peu de vagues. Le fait d’être embêtée par ça, d’avoir peur, m’a intriguée. Cela m’intéresserait de passer du temps à ça, de comprendre, d’apprendre sur moi, et finalement j’ai été complètement attirée par ça jusqu’au point où j’avais quasiment une boule au ventre lorsque je ne pouvais pas rester sur la plage… J’avais profondément envie d’aller dans l’Océan, je me sentais vraiment attirée par ça…

 C’est devenu un jeu avec moi-même, d’apprentissage, de repousser jour après jour mes petites limites. Il n’y a pas vraiment eu de départ vers le surf, ça a été un escalier, petit à petit. Je surfais à chaque pas des vagues un peu plus grosses, notamment à Lacanau.

Comment es-tu passée du surf au longboard ?
C’est mon père qui avait un longboard, l’été on lui piquait avec mon frère et on faisait une session. Mon club de Lacanau m’a inscrite à une compétition de longboard, et j’avais bien marché. La même année je crois, ils m’ont inscrite à la Coupe d’Europe à Anglet. J’avais gagné, cela me permettait de pouvoir participer au championnat du monde qui était organisé à Biarritz, le Roxy Jam. J’y suis allée et j’ai terminé deuxième, à 15 ans. Au début je me suis faite connaître par le longboard. Mais en fait j’ai toujours fait du shortboard. J’ai peut-être fait davantage de longboard avec un lycra en compétition, que de sessions sans lycra. J’ai toujours fait un peu des deux et j’aimais bien, je trouvais ça rigolo de changer de support.  Vu que je me suis mise au surf avec le skim, avec le bodyboard, j’avais un état d’esprit assez ouvert sur les disciplines du surf.

Quelle est la différence entre le shorboard et le longboard pour toi ?
En longboard, tu as un peu plus de temps de glisse, tu as un peu plus le temps de voir les choses. Tu as vraiment ce phénomène de marcher sur la planche, tu as deux dimensions : tu surfes sur la vague et tu bouges, tu surfes sur ta planche. Quand tu marches sur la planche, tu as une notion d’équilibre bien plus poussée. J’aime bien tout ce qui concerne les manœuvres, les changements de trajectoire. C’est plus dur car c’est une plus grosse planche à bouger, mais en même temps quand tu tournes ta planche et que tu arrives à faire un roller, un virage… Il y a un bout de planche qui ressort de la vague, et tu sens vraiment au niveau des pieds qu’il y a une planche qui bouge, un mouvement qui se fait (tu le sens énormément) et je trouve ça vraiment cool. Le fait d’être sur le nose, tout à l’avant de la planche, te donnes encore plus de connexions avec la vague… Il y a encore la planche entre toi et la vague, mais j’aime bien ces sensations. Tu sens réellement la planche sous tes pieds, tu as l’impression de faire partie de la planche car tu te dois d’être fort sur tes appuis. Ça m’a énormément aidé après pour les grosses vagues, quand j’ai un gun, une grosse planche aussi, c’est un peu la même histoire… Une fois que j’ai réussi à ramer pour partir sur la vague, c’est pareil : pour la bouger cette planche, il faut être bien fléchi et bien ancré, bien scotché à cette planche !

Quand et comment est née ta vocation pour le surf de gros ?
Le premier grand pas vers le surf de grosses vagues, c’est quand j’ai surfé Belharra ou quand je suis partie en Irlande avec une première grosse vague, avec les jets skis impliqués, les gilets de sauvetage… Là, tu peux vraiment dire que tu fais du surf de grosses vagues.

Tu as surfé tous les grands spots de grosses vagues, de Belharra (au Pays Basque) à Jaws (Hawaii), en passant par Nazaré. Quels sont les spots les plus emblématiques du big wave riding à tes yeux ?
Nazaré, ça c’est sûr. Jaws est une vague magnifique à la rame, mais elle est vraiment chouette aussi en tow-in. Ce sont les deux vagues qui ressortent à mes yeux. Je ne connais pas suffisamment Jaws même si j’y suis souvent allée, j’ai envie de prendre encore beaucoup de vagues là-bas ! Cela demande toutefois un budget et une organisation plus importante pour aller aux Etats-Unis. Le big wave riding implique d’avoir tout de suite un jet ski, une logistique qui est assez lourde. Jaws, tu ne peux pas y aller du bord comme par exemple à Mavericks, où tu peux partir de la plage et ramer… bon, tu rames un petit moment, mais tu peux atteindre le spot sans énormément d’assistance. A Jaws, tu as quand même besoin de plus de personnes… Ou alors tu es vraiment très courageux et tu sautes les rochers !  Nazaré, c’est intense, c’est tout, tu trouves ta limite très rapidement ! C’est tellement gros, ça devient tellement surdimensionné par rapport à tous les autres spots, que « Wow ! » c’est très très intense.

Tu dois t’ennuyer désormais quand tu arrives sur un spot et qu’une vague fait 2m…
Non non non ! Chaque vague a son caractère, requiert une manière différente de surfer… Je suis restée beaucoup à Nazaré cet été, mais je pratique différentes disciplines. On a sorti des prones, des paddle boards – Fred faisait du sauvetage cotier en compétition, plus jeune – et c’était trop bien de ramer et surfer avec. Enfin, c’est très dur de surfer avec, ce n’est pas vraiment une planche faite pour ça ! Mais c’était rigolo… Je vais donc plus avoir tendance à faire d’autres disciplines, à varier, j’aime notamment beaucoup le bodysurf.  Quand les conditions sont petites à Nazaré, je prends mon shortboard et mes palmes de bodysurf, pour prendre quelques vagues en bodysurf au début ou à la fin…

Il existe une vague dans le monde qui t’effraie ou te fait rêver ?
Les slabs, creux, j’aimerais mais je n’y suis pas allée… Au printemps dernier, je devais aller à Tahiti mais ça a été repoussé. J’avais une opportunité pour y aller cet été, mais pour moi c’était plus compliqué dans le timing car la saison à Nazaré allait reprendre. Tahiti c’est complètement différent, comme approche de vague, les risques de blessure peut-être sur le reef… J’aimerais y aller au printemps 2021, et sympathiser avec la vague de Teahupoo ! 
Je ne connais pas du tout encore, je n’y suis pas du tout allée… Mais je veux voir, elle m’attire ! Je veux connaître un peu plus ces vagues creuses, même si à Nazaré il y a aussi de sacrées vagues creuses, mais tu sais jamais si tu peux rentrer dans le tube. Il y a aussi plein d’autres vagues que je ne connais pas encore.  Belharra est chouette aussi, mais c’est vrai que c’est souvent les mêmes houles que Nazaré, où les vagues sont plus grosses. Ces deux dernières années je suis ainsi resté à Nazaré plutôt que d’aller à Belharra. J’aurais souhaité y aller mais je ne pouvais pas être à deux endroits différents (rires).

Tu habites depuis 4 ans à Nazaré, non ?
Oui nous n’y habitions pas vraiment les premières années, mais désormais c’est le cas.

Ça se passe comment la vie là-bas quand tu ne surfes pas ?
C’est top. La vie au Portugal est chouette, c’est un peu comme la France en un peu plus tranquille. Nazaré est une ville mais elle a aussi un petit côté village, tu es rapidement dans la forêt… Cela ressemble un peu aux Landes, c’est rigolo d’ailleurs ! Des grands pins, des dunes, de la nature à perte de vue… j’aime beaucoup la nature ! Même la falaise avec la plage de Praia do Norte, là où il y a la grosse vague, c’est encore très sauvage, c’est brut, cela respire la nature. 
La vie sur place est top, il y a des marchés, cela rappelle la France.

En quoi habiter Nazaré t’a tranformée en tant que surfeuse de gros ?
Car je me suis consacrée au surf de gros en continu. Par ailleurs, Nazaré ce n’est pas que les grosses vagues énormes, il peut y avoir de toutes petites vagues et c’est tout joli. Hier soir, il y avait du brouillard au possible, j’avais l’impression que c’était la veille d’une houle énorme… alors que pas du tout ! Au final tu apprends à connaître l’endroit et à t’y sentir bien, chez toi. 
Et ça c’est génial ! Quand une grosse houle arrive, t’es déjà chez toi, tu as tes endroits, tes habitudes.. On n’associe Nazaré pas qu’au côté intense, puissant, effrayant, énorme.. Il y a aussi un coté tranquille, celui où je vais pouvoir faire un petit plouf sur la plage dans des conditions toutes belles, d’été. Cela apporte un équilibre. La première fois où je suis allée à Nazaré, j’avais dû surfer dans du 2 mètres voire plus. Les images que l’on voit de Nazaré sont quand même impressionnantes, j’avais presque peur dans ces conditions-là alors que j’avais déjà surfé en France de belles conditions sans souci…
C’est rigolo, les images que tu associes dans ton mental rendent la chose assez effrayante alors qu’au final, c’est une plage comme partout où il y a des grosses vagues… Ça te prend de l’énergie mais tu arrives à en récupérer aussi.

As-tu déjà renoncé à aller défier une vague, ou parviens-tu à dompter systématiquement ta peur ?
J’ai déjà refusé, cela ne m’est pas arrivé beaucoup. L’hiver dernier, une fois… J’étais assez fière car c’était la seule fois de ma vie je pense. Le rapport risque/plaisir et maîtrise/possibilité de surfer était engagé. Il y avait vraiment énormément de vent, c’était deux-trois jours après la compétition lancée en février. Il y avait notamment Kai (Lenny) et Lucas. Cela demandait de repousser ses limites par rapport au vent. La taille des vagues était très grosse, il y avait tellement de vent que ça les écrasait presque, mais c’était immense… Kai nous a dit qu’il avait essayé et qu’il n’arrivait même pas à aller au bas de la vague tellement le vent le poussait ! Quand un gars comme ça te dit cela, je me suis dit : « ok la barre est sacrément haute ! » Les meilleurs de la discipline n’y arrivaient pas… En regardant, on a vu que les vagues n’étaient jamais vraiment droites, ce vent de nord rendait les choses très compliquées d’autant que les vagues étaient proches de la falaise.
 S’il y avait une erreur, il y avait très peu de marge…
 On avait surfé une belle vague pendant la compétition, on s’est régalés, donc j’ai pris la décision de ne pas aller dans l’eau… J’avais envie mais parfois, il faut écouter sa petite voix, ses ressentis. Pour moi, c’était trop. On a décidé de regarder encore 5 minutes avant de rentrer au port, et là un équipage s’est mis à l’eau sans 2e jet-ski de sécurité. J’étais avec Fred (David) et Clément qui était sur le 2e jet-ski. L’équipage s’est mis à l’eau, le surfeur a pris une vague au premier pic le plus proche de la falaise. Il est tombé, on s’est alors tous mis en alerte. Fred m’a alors déposé au large sur un jet-ski, Clément est parti direct pour aider le surfeur, Fred l’a rejoint, d’autres jets-skis ont suivi. On a massacré un jet-ski, Clément a failli finir dans la falaise, c’était un peu la cata. Ils ont réussi à récupérer le surfeur qui avait un coup à la tête, il était très sonné. Mais tout le monde a pu s’en sortir nickel, juste du matériel bien éclaté (rires). C’était le nôtre en l’occurrence, on voulait surfer le lendemain, c’était frustrant !  J’ai donc refusé une fois, j’en étais bien fière mais finalement cela n’a pas porté ses fruits puisqu’on a cassé notre matos quand même !

Tu as surfé de très grosses vagues, mentalement que se passe t-il dans ta tête quand tu vois une vague de 15 ou 20m qui se forme derrière toi ? 
C’est de l’excitation, de la peur ?
Tu te mets en alerte et tu vis le moment présent. Tu prends une respiration bien profonde, tu prends l’information et tu te dis « ok, allez ! ». Cet hiver, quand Fred m’a lancé sur les deux plus grosses vagues que j’ai prises, en novembre et février et que j’ai lâché la corde, je me suis dit : « bon ok très bien, il a vu haut, il m’a mis sur une vague immense, maintenant à moi de jouer ! ».   Il y a un petit moment de prise de conscience. Tu prends conscience que là, ça va être vraiment fort, avec une grosse vague qui va aller plus vite que d’habitude, cela va être plus dur de tenir sur la planche, en équilibre…
Tout de suite après cette prise de conscience, un repère : je me dis « il va falloir que je sois concentrée, vraiment à 100%, et bien présente ». Finalement, il y a ce petit côté qui se met en place, et après ça devient naturel, il n’y a plus rien qui se passe, il n’y a que toi et la vague, rien d’autre n’existe.
 Tu rentres dans cet état de flow, tu es connectée avec ta planche, avec la vague, avec tout, avec les éléments… Tu vois tout au ralenti, et en même temps cela va très vite dans l’action. C’est très fort, au moment où je lâche la corde je me dis « wow ok, il va falloir être au taquet ». Mais je me dis aussi : « ce n’est que quelques secondes, profite à fond ! ».

Maintenant que tu as surfé une vague de 20m, que te reste t-il à accomplir ?
C’est vrai que depuis 4 ans, chaque année je vais surfer des vagues plus grosses. Cet hiver, j’ai réussi à surfer 2 fois les plus grosses vagues qu’il y a eu. 
J’ai pris deux fois la plus grosse vague de la journée et je me suis dis  : « wow ça y est, je suis capable d’aller presque à la limite de l’océan », je suis allée en tout cas, au plus gros que l’on ait eu cet hiver et ce qu’il est possible de surfer.
 Cet hiver, j’aborde les choses différemment, il y a un peu moins ce côté inconnu. Si une grosse houle arrive je me dis que je pourrai surfer la plus grosse vague.
 Peut-être que, dans les très grosses houles, on aura une approche plus patiente. Fred pourra se permettre de m’envoyer vraiment sur les plus grosses vagues à chaque fois.
J’ai envie de surfer, de vraiment surfer, de faire des trajectoires, des manœuvres… 
Je n’ai absolument pas envie de surfer des grosses vagues en étant en survie, descendre une vague juste pour une photo…
Non non, je veux vraiment avoir ces sensations-là de faire des courbes géantes, tu fais des carves infinis (rires), tu prends de la vitesse. Cela ressemble beaucoup au snowboard je pense.

Tu as surfé cette vague de 20 mètres, mais si elle en avait fait 30, tu y serais allée quand même ?
Oui ! Enfin, je ne sais pas (rires). C’est petit à petit… Il y a 4 ans, Fred m’avait lancé sur une vague qui devait faire 20m, mais je n’y étais pas allée. J’ai lâché la corde, j’ai commencé à partir sur la vague et j’ai senti que j’allais 10 fois plus vite que d’habitude, que j’allais passer un cap que j’allais bien moins maîtriser. J’étais à un cap de maîtrise situé au maximum de l’endroit où je me sens à l’aise, et où j’ai suffisamment de maîtrise.
 J’étais au tout début de la vague, donc j’allais bien plus vite ! La décision s’est faite toute seule de sortir de la vague, ma petite voix a parlé, mon inconscient qui voyait vraiment noir e blanc. 
C’était beaucoup trop, j’en étais peut-être capable mais je n’avais pas suffisamment fait de gammes où j’allais de 10m à 12m, à 15m, 18m, 20m… Je ne m’étais pas assez habituée à ces tailles-là, à ces vitesses là… Dans ma tête, à ce moment-là, mon seuil de maîtrise n’était pas suffisant. Quand je pars sur une vague, j’ai envie de profiter, d’être toujours dans ce seuil de maîtrise…
Je ne suis vraiment pas une tête brulée, il faut vraiment que j’ai un bon seuil de maîtrise, je reste toujours dans un seuil où je sais que je peux surfer cette vague.

Après avoir réussi un tel exploit, t’autorises-tu à savourer ou gardes-tu les pieds sur terre ?
C’était surtout sur le coup, on était hyper contents et hyper bien avec Clément et Fred. Nous étions sur un petit nuage, dans une bonne énergie. Les 2 fois, en novembre et février, c’était vraiment ça, on n’exultait pas du genre « wow énorme, on a fait un truc de fou ! ». Il y avait un peu de ça, mais aussi une énergie très douce, très envoûtante qui nous happait. Nous nagions dans le bonheur, tout simplement ! Avoir partagé cela avec ces personnes m’a rendue vraiment heureuse.
En novembre, pile poil la veille, Fred m’avait lancée sur une grosse vague, j’avais d’ailleurs pris une sanction car la vague fermait après. La vague était chouette, très technique, il y avait plein de perturbations et de clapot sur la vague.
J’avais fait plein de sauts sur la vague, j’étais allée vite et en fait, elle ne rendait pas si grosse que ça sur les images. Mais dans notre ressenti, nous étions trop contents, à surfer c’était dingue, c’était dur ! Elle n’avait pas pris la forme du canyon qui permet de multiplier la taille de la vague, et de se dresser en pic. Ça n’avait pas fait cet effet-là, donc elle ne rendait pas si bien que ça…
Le lendemain, on surfait pour nous, c’était bien mais on ne se disait pas « on va avoir la photo, un record ou une belle photo de grosse vague », on s’en fichait complètement.
 Quand j’ai pris cette fameuse vague en novembre, on ne voulait pas sauter de joie mais on savait que celle-ci était belle ! On l’a fait ensemble, chapeau…

Aujourd’hui, tes sponsors te mettent-ils la pression pour surfer toujours plus gros et aller toujours plus loin ?
Non non, tu choisis les gens autour de toi qui te ressemblent… C’est toujours moi qui dicte un peu mes projets, les gens qui s’associent à moi c’est parce que je suis comme je suis.
 Ils ne vont en aucun cas me donner des objectifs ou des projets à réaliser.  Je suis une petite entreprise avec Fred, on est deux et on peut prendre une décision rapide, et le lendemain changer ce que l’on voulait faire et prendre une opportunité. On va plus vite, les sponsors n’ont pas le temps de mettre la pression (rires). A Nazaré, j’aimerais faire des manœuvres différentes dans les grosses vagues, continuer à surfer les très grosses vagues. Je sais qu’il y a des jours où cela peut être encore plus gros mais pour l’instant le vent et la houle ne se sont pas vraiment alignés. A chaque fois il y a eu énormément de vent donc ça cassait un peu la houle au large, et c’était trop dur de surfer, ça ne rendait pas possible le surf. 
Mais s’il y a une vague plus grosse qui se présente à Nazaré, j’aimerais vraiment la surfer ! Il y a 4 ans on l’avait vue mais ce n’était quasiment pas surfable, on a eu une session où une vague est partie avant la nuit une fois. C’était encore une autre dimension !  Le jet ski était ridicule, tu n’arrivais pas à suivre la vague tellement elle allait vite même par rapport au jet plein gaz… C’était impressionnant de ressentir ça. J’aimerais la surfer mais cela vient de moi, je ne pense pas de toute façon que cela marche quand quelqu’un te met une pression, te pousse vers un objectif.
Si tu as vraiment envie d’accomplir l’un de tes projets personnels, l’envie, la motivation, l’essence de ton projet te permettront d’avancer et de le réaliser.
Il n’y a pas de souci, je suis bien entourée et bien chanceuse de ce côté-là ! Même quand il y eu ce truc avec le record, mes sponsors ont tous accepté que je parle, que je reste fidèle à moi-même, que je sois franche et honnête, authentique… que je sois comme je suis ! S’ils me mettent un objectif et que je ne suis pas d’accord, je suis libre de refuser. Il y a beaucoup de respect, il en faut.

Comment sont perçues les chargeuses de gros par leurs homologues masculins ? Quels sont vos rapports ?
Je suis arrivée dans les grosses vagues il y a 4 ans. Je sortais de la compétition et je m’étais qualifiée en CT dans l’élite mondiale en shortboard, donc le côté technique du surf. 
J’arrivais avec un bon niveau technique, peut-être supérieur à pas mal d’hommes qui surfaient déjà les grosses vagues. J’avais une crédibilité de surfeuse qui était forte.
En plus venir avec Fred qui lui est sauveteur, lifeguard et qui fut champion du monde en bodysurf… Il est hyper crédible, il a sauvé des gens, on forme un binôme juste parfait ! On a fait les choses bien, petit à petit, ce côté féminin ne rentrait pour moi tellement pas en compte… Nous sommes une équipe mixte.
 Il y a deux ans, ils avaient fait un live et j’avais une combi jaune. J’ai des copains qui sont photographes et caméramen qui me disaient : « sur la falaise, il y a des gens qui disent : c’est qui le bonhomme en jaune ? Il a pris toutes les vagues, il a scoré… » C’était drôle ! Je ne ressens pas du tout cet effet de garçons et de filles, et je n’ai pas envie d’en jouer non plus. J’ai envie de faire le maximum dans mon sport, mais aujourd’hui je suis inspiré par Kai et Lucas, les meilleurs au monde et par Pierre Rollet, un Français qui cartonne sur les spots aussi. J’ai rarement regardé une vidéo de femme (rires). Je suis inspirée par les meilleurs de chaque discipline, je ne me compare pas et je n’ai pas envie de me comparer. Je me compare aux gens qui ont mon niveau aujourd’hui, qui viennent à Nazaré surfer et qui sont plus forts que moi pour me tirer vers le haut.

Comment te vois-tu dans 10 ans ?
Je suis sereine, ma vie a continuellement été rythmée par des coups durs puis par des rebonds vers des choses encore plus magiques. Je suis confiante, j’ai commencé à donner des conférences en entreprises depuis 2 ans, c’est chouette de partager sur mes expériences. Nous avons également créé une chaîne Youtube avec Fred, on essaie de partager notre quotidien, des tips sur la façon dont on pense et dont on fait les choses. Nous aimerions plus tard faire un peu plus d’aventures, il reste des grosses vagues à découvrir. Je vais continuer à surfer des grosses vagues à Nazaré, c’est sûr, je souhaite désormais réaliser certaines manœuvres sur la vague. A chaque fois j’ai un objectif quand la saison arrive. Peut-être plus de slabs, j’avais adoré rider en Irlande, notamment Mullaghmore, j’aimerais y retourner. De même que surfer des vagues différentes, où je ne me sens pas encore hyper à l’aise. 
Après, concernant mes projets à plus long terme… J’ai bien eu la tête sur les épaules il y a quelques années et j’ai pu investir dans l’immobilier, j’ai donc ma petite retraite, c’est chouette et réconfortant ! J’ai voulu rapidement assurer mes arrières…
Il y a également un documentaire qui arrive, plein de projets qui vont se passer.
Je ne pense pas ouvrir une école de surf, en revanche je suis intéressée par du coaching individuel de personnes voulant repousser leurs limites, du partage d’expérience. Pour le moment on est encore très concentrés sur nos vagues, mais il y a de belles choses à faire dans le futur !

Un message à une personne qui voudrait se lancer dans le surf de gros ?
Faire de l’apnée, en se rapprochant d’un club ! Le plus gros déclic que m’a apporté l’apnée, c’est d’être confiante car je peux rester longtemps sous l’eau, ce qui est essentiel pour le mental. C’est top de se dire : « je peux rester 4 minutes sous l’eau sans bouger ». Mais après, quand tu bouges et que tu te fais secouer dans tous les sens, ce n’est pas la même histoire ! Mais c’est énorme de savoir que tu as de bonnes capacités sous l’eau, car quand une grosse vague arrive, que tu as le temps de la voir mais que tu n’as pas le temps de t’échapper…tu as le temps de prendre ton air, et d’aller sous l’eau. Même si ça tape sous l’eau, que c’est dur, tu sais que tu as une marge. Je sais que physiologiquement, je vais réussir à avoir suffisamment d’oxygène encore pour rester confiante et remonter à la surface. Après, un entraînement physique est important mais encore plus un entraînement en bodysurf, en allant dans l’océan et en s’y confrontant. J’en fais accompagnée de Fred, c’est chouette j’ai de la chance, c’est le maître de la discipline ! Il s’agit à mes yeux du meilleur entraînement pour le surf de grosse vagues, tout en se rapprochant d’un club pour des séances d’apnée.
 Et y aller petit à petit ! Du matériel de sécurité existe aujourd’hui, même si c’est onéreux notre vie n’a pas de prix… 1 500€ le gilet, cela fait mal mais c’est bien moins cher que ce que nous coûtons. Dans tous les cas, il faut également s’entraîner aux procédures de sécurité et aux cours de premier secours, à sortir une personne de l’eau, car tu peux te retrouver à être inconscient.
 C’est important de mettre un casque également, pour se protéger des traumatismes crâniens.  Il faut mettre son orgueil de côté et écouter sa petite voix !

Quel est ton avis sur la présence du surf aux Jeux Olympiques ?
C’est chouette… Je suis un peu moins sur le circuit, mais en même temps je vais commenter les épreuves au Japon et je suis en même temps représentante des surfeurs à la Fédération Internationale. Ce qui est chouette, c’est que c’est une grosse plateforme. Pour les surfeurs aujourdhui, c’est une plateforme qui permet de rendre le surf encore plus crédible, d’être encore plus vu comme un sport professionnel. Cela permet aussi d’avoir beaucoup plus de marques grand public et de marques différentes qui s’intéressent au surf et qui permettent de sponsoriser les surfeurs, d’avoir des budgets, d’avoir plus d’entraînements… Au niveau sponsoring, le surf aux JO aide énormément de personnes. Tu peux avoir un projet et vendre ton projet, avoir un objectif.. Les Jeux, cela reste la compétition la plus belle, la plus grosse, la plus impressionnante.
 Il y aura plus de surfeurs dans l’eau ensuite, mais c’est une belle discipline, ok pour partager !

Merci à toi

 

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Photo du haut © Ben Pruchnie