Entretien avec Marion Haerty

Le 19 Février dernier, la Française triple championne du monde a remporté la première manche du Freeride World Tour 2021 à Ordino-Arcalis et c’était l’occasion de sortir cette interview réalisée en fin d’année. À seulement 29 ans, Marion Haerty est toujours au top et nous le prouve avec cette superbe victoire en Andorre. 

Marion, à quel âge et dans quelles circonstances as-tu découvert le snowboard ?
J’ai commencé le snowboard à 10 ans, via mon grand-frère, un snowboardeur du dimanche, j’avais alors envie de commencer à faire comme lui. J’ai feuilleté des magazines comme Snowsurf et je voyais des nanas voyager à travers le monde, avec leurs planches sous le bras. J’avais l’impression que c’était un sport vraiment cool ! Le ski alpin ne me plaisait pas car mon moniteur était vraiment nul, pas fun du tout, il ne faisait que crier et du coup, j’en avais marre. Je voyais les copains à coté qui s’amusaient au club. Je suis donc rentrée au club de Chamrousse à 13 ans. De fil en anguille, j’ai commencé la compétition à 14 ans, j’ai fait du boadercross, du slopestyle et du halfpipe. Je me suis ensuite spécialisée, tout d’abord en boadercross. A l’époque c’était compliqué, je n’avais pas forcément les moyens de rentrer en sport-études, du coup j’ai dérivé vers une autre discipline, le slopestyle. J’allais rider avec les copains le week-end, je fais championne de France en 2018 en slopestyle. J’essaie de me qualifier pour les JO de Sochi en 2014, ça n’a pas marché car il fallait s’entraîner 365 jours par an, niveau moyen ce n’était pas non plus évident. J’ai alors commencé à me diriger vers le freeride car cela m’inspirait depuis plusieurs années, et ça semblait moins prise de tête qu’avec la Fédération.

Quels souvenirs gardes-tu de tes premières compètes ?
De la frustration, quand je ne gagnais pas j’étais triste, j’ai eu dès le début l’esprit de compétition. Je prenais à cœur de réussir à percer dans ce milieu-là, ça me donnait la niaque pour me surpasser. Cela vient un peu de mon enfance, quand j’étais petite ma mère me racontait que lors d’un marathon avec l’école, un garçon de ma classe m’a fait un croche-pattes et je suis tombée. Cela m’a tellement énervée que je l’ai dépassé et j’ai gagné la course ! C’est un peu un caractère de base depuis toute petite. Ma bande de copains m’a challengée, mes voisins faisaient du snowboard et du ski, je ne trainais qu’avec des garçons lorsque j’étais adolescente. C’est ça qui m’a amenée à faire du skateboard, du VTT  et trainer avec des garçons qui n’avaient pas peur de se faire des cicatrices, d’avoir des muscles…
Ca m’a tirée vers le haut dans ce sport extrême.

Que représentaient les Jeux Olympiques à tes yeux ?
Cela représentait la réussite, beaucoup de choses en tant qu’athlète. Quand tu es petit et que tu vois un sportif aux Jeux, cela t’inspire beaucoup, cela crée de nouveaux rêves, te donne envie de te surpasser. Ca te permet aussi d’avoir des moyens pour te réaliser dans ton sport. Ca a toujours été médiatisé comme quelque chose d’énorme. Aux yeux d’un enfant, gagner les JO crée un rêve.

En rêvais tu d’ailleurs lorsque tu étais jeune ?
Oui, mais car je ne savais pas qu’il y avait d’autres choses à côté comme le Freeride World Tour. Ce n’était peut-être pas assez exposé. Après tu grandis, tu te rends compte qu’il n’y a pas forcément que les Jeux Olympiques : tu as les X-Games, le FWT, ça t’ouvre de fait de nouvelles opportunités.

Au final, tu t’es essayée au Freeride World Qualifier en 2015, devenant par la suite triple championne du monde de Freeride (2017-2019-2020). Tu es d’ailleurs la première femme à cumuler autant de titres sur le FWT.
 Ça fait quoi d’être une pionnière ?
Ça engendre beaucoup de bonheur et de satisfaction, après avoir travaillé pendant plusieurs années et mis beaucoup de choses de côté, que ce soit en amitié, en famille, en amour. Réaliser un peu son rêve de gamine, ça te procure beaucoup de satisfaction, tu te réalises en tant que femme… ça apporte beaucoup de choses, oui. De la confiance aussi dans la vie de tous les jours, enfin ça dépend des fois (rires), mais cela permet d’avancer, de te connaître un peu mieux en tant que personne et de connaître aussi les autres.

Que représente le snowboard freeride aujourd’hui à tes yeux ?
Pour moi c’est la liberté au niveau de ta créativité. Il n’y a pas la main de l’homme qui intervient sur la neige, c’est toi et la montagne. Ce que j’adore, c’est que c’est toi qui choisis ta ligne, ton saut, personne ne t’impose quoique ce soit. Il y a ensuite, c’est sûr, la notation des juges en face de toi mais c’est à toi de laisser vivre ta créativité, et finalement ton identité. C’est que j’aime le plus en freeride, c’est vraiment une liberté d’expression que l’on retrouve rarement dans d’autres sports.

Qu’ont changé dans ta vie ces titres mondiaux ?
Ça a changé pas mal de choses dans ma vie… Tu as déjà plus de légitimité sur pas mal de plans, les gens t’écoutent, tu peux commencer à vivre de ta passion. Avant mes titres, j’accumulais plein de boulots à droite à gauche. A partir du moment où tu as un titre, les sponsors te font confiance dans tes démarches, dans tes projets. J’ai toujours le même cercle d’amis, je cotoie toujours les mêmes personnes, mais tu as de nouvelles opportunités qui s’ouvrent à toi. Tu as la chance de rencontrer des gens incroyables, je me suis faite par exemple inviter avec mon copain sur une étape du Tour de France. Sans un titre de championne du monde, je n’aurais jamais pu vivre cela et suivre Alaphilippe à 2 mètres… C’est des opportunités incroyables, qui te font vivre des choses même en dehors de ton sport, qui sont assez improbables !

Comment gères-tu la peur en tant que sportive ? Comment y fais-tu face ?
La peur, tu la gères à travers plein d’outils, tu peux mettre en place de la préparation mentale, de la méditation, de l’hypnose. Chacun a ses peurs, j’ai moins peur de m’engager dans une pente à 50° que de m’investir dans un projet immobilier, par exemple. Chacun voit ça différemment.

Quelle est ta relation avec les autres riders du Tour ?
Il y a une belle solidarité entre les riders, c’est un sport qui nous demande beaucoup d’énergie et d’engagement. Si on se loupe sur une ligne, c’est un gros risque d’accident. Il y a un certain respect entre les rideuses et les riders, on se serre les coudes, on se donne des conseils pour que chacun puisse se choisir la meilleure ligne, même entre concurrents et concurrentes. C’est ce que j’ai beaucoup aimé lorsque je suis rentrée dans ce milieu, ce n’est pas vraiment une compétition entre nous, mais plutôt contre soi-même. Je le vois comme cela en tout cas. Il y a une vraie famille derrière ce circuit.

Quelles qualités penses-tu avoir en tant que sportive ?
De la persévérance, il en faut pour réaliser tout ça, de la patience aussi car griller des étapes ne nous conduit pas au bon endroit et aussi de la motivation.

Tu as une étape préférée ?
Verbier sans hésiter, par rapport à son histoire, à son degré de pentes, aux possibilités de ligne. C’est quand même une face super belle, on a rarement l’occasion de retrouver ce genre de face sur le circuit du World Tour ou dans d’autres pays.

As-tu remarqué une évolution du niveau général en snowboard freeride ces dernières années, et à quoi le vois-tu ?
Oui, il y a surtout une professionnalisation de ce côté-là, cela fait penser au slopestyle il y a 10 ans. Vu que ce n’était pas olympique, ce n’était pas forcément pro dans le sens où il n’y avait pas d’encadrement, de coach, d’entraineur physique, d’entraineur sur neige. Là, chacun commence un peu à se professionnaliser et à amener son équipe pour être au top de ses performances. Je vois vraiment un développement, et il y a toute une génération qui arrive et qui a vraiment envie de performer, ça fait plaisir ! Ce matin, j’étais encore au téléphone avec un papa qui voulait se renseigner pour son fils afin qu’il puisse se réaliser là-dedans. Je pense qu’il y a vraiment un beau futur pour ce sport.

Quelle place occupe le snowboard dans ta vie ? As-tu la tête dans le snowboard à longueur de journée ?
En fait, il y a des périodes où j’aime bien couper et m’intéresser à d’autres choses. C’est important, si je n’ai que ça comme pilier de vie, ça devient vite compliqué et stressant. Il y a des periodes de l’année où je n’y pense pas du tout, par contre l’automne est une période où j’y pense beaucoup car il y a des choses à préparer en amont, des projets vidéos, des projets de produits avec des sponsors, la prép physique à faire… Il y a un temps pour tout.
 L’hiver, j’aime bien passer des journées sans penser à ça, juste aller faire du shopping avec des copines, faire des trucs simples de la vie !

Qu’est-ce que tu ressens quand tu rides ?
Une sorte d’osmose que tu rencontres avec la montagne, tu ne vas faire qu’un avec elle, tu as une sensation hors du temps car tu ne penses pas au futur, au passé. Tu as un instant de flow où tu as vraiment ton corps en mouvement avec la neige, c’est juste un automatisme. C’est vraiment une sensation incomparable par rappoort à ce que tu peux retrouver dans ton quotidien.

Comment se manifeste chez toi l’adrénaline de la compétition ?
Avant une compétition, tu as une énergie qui vient, physiquement, de la tête aux pieds. C’est une « montée d’adrénaline », c’est vrai que c’est un instant assez incroyable !

De quoi es-tu la plus fière ?
Bonne question ! De voir le sourire de mes parents quand je gagne une compétition.

As-tu un modèle, une idole, une source d’inspiration dans le monde du sport ?
Des nanas comme Justine Dupont, Myriam Nicole, Nouria Newman, je les suis dans leur quotidien, elles m’inspirent beaucoup et me poussent à me dépasser. Je me sers de tous les outils qu’elles mettent en place pour réussir dans leur sport. Au-délà,des femmes comme Michelle Obama, Simone Veil, une aventurière comme Sarah Marquis… J’essaie toujours d’avoir un bouquin sous la main de personnes qui m’inspirent, c’est super important.

Que dirais-tu aux jeunes filles pour les encourager à faire du snowboard ?
De ne pas avoir peur de passer au-delà du jugement des autres, de suivre son cœur. Si tu as envie de faire du snowboard, c’est toi qui décides et pas les autres. Et surtout s’amuser, il n’y a pas vraiment de chemin tracé pour devenir championne du monde, c’est à toi d’écouter ton cœur, de t’entourer des personnes qui vont te tirer vers le haut et pas de personnes qui vont te tirer vers le bas.

Comment te vois-tu dans 10 ans ?
Dans 10 ans j’aurai 39 ans, je pense que j’aurais une famille avec mon chalet, mon petit potager… J’aurai plein d’aventures en montagne à raconter à mes enfants, beaucoup de bonheur, je pense que je serai encore sur ma planche de snowboard à aider des gens en montagne. Je ferai peut-être de la préparation mentale, à partager les expériences que je peux accumuler à travers mon sport.

Merci à toi
Interview réalisée en Novembre 2020 par Nicolas Arquin et Manu Massabova.
VOIR NOTRE PRÉCÉDENTE INTERVIEW DE MARION EN NOVEMBRE 2017